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Cote : g226_2_f_029__r____ | ID_folio : 2807 | ID_Transcription : 1063 | ID_Image : 8420
Opinion de Carnot Père sur la République. En 1814, nous avons eu, dit-on, les vol-
tigeurs de Louis XIV
. C’est possible ; mais
aujourd’hui nous avons les voltigeurs de
Marat et de la guillotine
.
À l’heure actuelle, la France pense qu’il
s’agit de fonder une république ; les pla-
giaires de 93 croient qu’il suffit de couti-
nuer la république en reprenant la con-
versation où le comité de salut public l’a-
vait laissée.
Nous sommes heureux de pouvoir appe-
ler, pour prĂŞter main forte Ă  notre affirma-
tion, un juge et un nom dont il nous paraît
difficile que la jeune Commune de Paris
puisse décliner l’autorité.
Lorsqu’il fut question de décerner au con-
sul Bonaparte le titre d’empereur héréditai-
re, une seule opposition s’éleva dans le tri-
bunat, ce fut celle de Carnot, l’ancien mem-
bre du comité de salut public et l’organisa-
teur de la victoire
. Après avoir établi que
la forme républicaine donnait au pays au-
tant et plus de gages de prospérité que la
forme monarchique, ce grand citoyen ajou-
tait :
« Nous n’avons pu, à la vérité, établir
» parmi nous le régime républicain
, quoi-
» que nous l’ayons essayé sous diverses
»
formes plus ou moins démocratiques ;
» mais il faut observer que de toutes les
»
constitutions qui ont été successivement
» éprouvées sans succès, il n’en est aucune
» qui ne fût née au sein des factions et qui
»
ne fût l’ouvrage de circonstances aussi
»
impérieuses que fugitives. Voilà pourquoi
»
toutes ont été vicieuses. »
Ainsi, dans la pensée de Carnot, la ré-
publique n’était pas fondée en France ; rien
n’avait été fait, et tout était à refaire ; tout
Ă©tait vicieux
et Ă  recommencer. Comment
donc n’est-il pas permis de douter de la du-
rée d’un régime qui n’a pu être établi et
qui avait été éprouvé sans succès ?
Un peu plus loin Carnot ajoutait : « Ce n’est point par la nature de leur
» gouvernement que les grandes républi-
» ques manquent de stabilité ; c’est parce
» qu’étant improvisées au sein des tempêtes,
» c’est toujours l’exaltation qui préside à
» leur établissement. Une seule fut l’ouvrage
» de la philosophie, organisée dans le calme,
» et cette république subsiste pleine de vi-
» gueur et de sagesse. Ce sont les États-Unis
» de l’Amérique septentrionale qui offrent ce
» phénomène, et chaque jour leur prospé-
» rité reçoit des accroissemens qui étonnent
» les autres nations. Ainsi, il était réservé au
» Nouveau-Monde d’apprendre à l’ancien
» qu’on peut subsister paisiblement sous le
» régime de la liberté et de l’égalité. Oui,
» j’ose poser en principe que, lorsqu’on
» peut établir un nouvel ordre de choses
» sans avoir à redouter l’influence des fac-
» tions
, comme a pu le faire le premier
» consul, comme il peut le faire encore, il
» est moins difficile de former une républi-
» que sans anarchie qu’une monarchie sans
» despotisme. »
Que dire de ce passage ? Selon Carnot,
l’ancien collègue de Robespierre et de Saint-
Just, la forme américaine était le type de la
perfection républicaine à laquelle il aspirait
pour son pays, et lorsque, dans sa pensée,
jamais une république sérieuse et durable
n’ayant été fondée en France, c’était celle
des États-Unis qu’il aurait voulu y voir pro-
clamer.
Nous trouvons encore dans ce noble et
courageux discours un passage qui, dans
la question des républicains du lendemain
et des républicains de la veille, peut être
d’une grande autorité.
« Cependant, » disait avec une mélancoli-
que résignation cet austère républicain, qui
voyait la France se précipitant avec une
sorte de délire dans la monarchie, derrière
laquelle il entrevoyait déjà le despotisme :
« cependant, toujours prêt à sacrifier mes
» plus chères affections aux intérêts de la
» commune patrie, je me contenterai d’a-
» voir fait entendre encore une fois l’accent
» d’une âme libre. Je fis toujours profession
» d’être soumis aux lois existantes, même
» lorsqu’elles me déplaisaient le plus. Plus
» d’une fois je fus victime de mon dévoue-
» ment pour elles, et ce n’est pas aujour-
» d’hui que je commencerai une marche
» contraire. Je déclare donc que, tout en
» combattant la proposition faite, du mo-
» ment qu’un nouvel ordre de choses sera
» établi, qu’il aura reçu l’assentiment de la
» masse des citoyens
, je serai le premier Ă 
» y conformer toutes mes actions, à donner
» à l’autorité toutes les marques de défé-
» rence que commandera la hiérarchie
» constitutionnelle. Puisse chacun des mem-
» bres de la grande société émettre un vœu
» aussi sincère et aussi désintéressé que le
» mien ! »
Après ces paroles, où sont si bien tracés
les devoirs d’un bon citoyen en temps de
révolution, le gouvernement de cette épo-
que persécuta-t-il celui qui les avait
prononcées ? Le soumit-il à l’ostracisme,
sous prétexte que, n’ayant point désiré l’é-
rection du trône impérial, il ne pouvait que
lui être hostile et penser à réagir contre
assemblée nationale

Transcription : Stéphanie Dord-Crouslé

Document « brut » imprimé

Titre de la page : Opinion de Carnot Père sur la République.

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