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La tempête du 6 au 7 du courant a occa-

sionné des dégâts à Millebosc. Un énorme

tilleul, plusieurs fois centenaire, qui se

trouvait dans l’enceinte du cimetière de

cette commune, a été déraciné et est tom-

bé sur la toiture de l’église qu’il a effon-

drée

Les frais occasionnés par la chute de cet

arbre sont évalués de 1,000 à 1,200 fr. La

couverture de l’église venait d’être res-

taurée.

                       

A l’occasion de la mort de Mme Grout,

d’Envermeu, mère de M. Jules Grout, con-

seiller général, les membres de cette fa-

mille ont versé pour les pauvres une som-

me de 200 fr dans la caisse du bureau de

bienfaisance d’Envermeu.

                       

Samedi, la péniche des douanes de Quil-

lebeuf a retiré de la Seine, entre Vatteville

et Vieux-Port, le cadavre du nommé Jean-

François Lether, marin à bord de l’un des

bateaux affectés aux travaux de l’endigue-

ment de la Seine. Lether était tombé dans

le fleuve le 9 novembre, en exécutant une

manœuvre.

Les hommes qui montaient la péniche

l’ont déposé à Vieux-Port, où il a des pa-

rents qui l’ont fait inhumer.

                                                          

 

CHRONIQUE JUDICIAIRE.

                                                          

 

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BORDEAUX.

Présidence de M. Manières.

Audience du 14 décembre.

 

affaire des pp. jésuites de l’école de tivoli. —

les pp. de la judie et commire, préfet et sous-

préfet des études, prévenus de coups et

blessures portés au jeune joseph ségéral. —

le P. roux, recteur, cité comme civilement

responsable.

 

Cette affaire a tellement surexcité l’opi-

nion publique que, dès dix heures du ma-

tin, les abords du palais ont été assiégés

par la foule. Lorsque, à midi un quart, le

tribunal ouvre l’audience, la salle est enva-

hie à ce point, que, ni derrière les sièges

des magistrats, ni dans l’enceinte réservée

d’ordinaire au témoins et au barreau, il ne

reste place même pour un auditeur debout.

Des ecclésiastiques, des officiers, des fonc-

tionnaires, entre autres M. l’inspecteur de

l’Académie, nombre de magistrats, d’avo-

cats et d’avoués, M. le commissaire central,

sont aux premiers rangs. Au dehors, la

masse de ceux qui n’ont pu entrer envahit

les escaliers qui mènent aux tribunes, et

quelques-uns escaladent les fenêtres, sur

l’appui desquelles ils s’établissent. Il faut

un moment pour obtenir un demi-silence.

Enfin, à midi et demi, la cause est appelée.

Les prévenus sont présents et assistés de

Me de Sèze, Mes Emile Durier, du barreau

de Paris, et Bernard, du barreau de Bor-

deaux, assistent la partie civile. M. le sub-

stitut Bourgeois occupe le siège du minis-

tère public.

Le premier témoin entendu est le jeune

Joseph Ségéral, âgé de treize ans et demi.

Il dépose :

J’étais élève de l’école des PP. Jésuites de Ti-

voli. Le 22 novembre dernier, à l’étude du matin,

j’eux une querelle avec un de mes voisins, le

jeune de Larrard. Comme cette querelle attira

l’attention du surveillant et que j’avais donné un

coup à mon camarade, je fus réprimandé. A l’é-

tude de onze heures, la querelle reprit. Il s’agis-

sait d’une somme de 75 centimes que de Larrard

me devait, et que je lui réclamais. Il ne voulait

me donner que 50 centimes, me demandant dé-

lai pour le reste. Dans notre dispute, je relevai

brusquement le coude, qui le frappa au nez et le

fit saigner. De Larrard me rendit le coup, et le

surveillant intervint pour nous corriger tous les

deux manuellement. Presque aussitôt après, je

fus mis au cachot, où je restais jusqu’à dix heu-

res du soir sans avoir reçu que du pain sec à

quatre heures et huit heures, bien que je n’eusse

rien pris depuis le matin sept heures et demi, et

qu’à deux heures j’eusse demandé de la nourri-

ture et de l’eau. Le cachot où j’étais ne prenait

jour que par une fenêtre qui éclaire le corridor

où il touche. Le sol est bitumé. Il n’y avait au-

cun siège, aucun meuble, rien qu’un vase de

nuit.

A dix heures, le P. Commire, sous-préfet des

études, vint me trouver. Il me dit d’ôter mon

pantalon. Je voulus obéir, mais mes souliers

m’en empêchaient. Le Père me dit alors d’ôter

aussi mes souliers. Lorsque cela fut fait, il re-

troussa ma chemise et m’administra plusieurs

coups de discipline avec une grande violence.

Exaspéré par la douleur, j’essayai de lui résister,

et je lui échappai en me réfugiant dans le corri-

dor voisin, et de là dans la chambre à coucher

du P. de la Judie, préfet des études, que je trou-

vai lisant. Ce père me remit entre les mains du

père Commire ; je fus jeté sur le lit, le P. Com-

mire étouffait mes cris, soit en me fermant la

bouche, soit en me pressant contre le matelas.

En même temps, il me fustigeait très fort avec

sa même discipline. Le P. Poitrasson était pré-

sent. Quand le P. Commire eut achevé la correc-

tion à son gré, il me laissa aller et je rejoignis

mon dortoir, où je me couchait. Le lendemain,

je dus reprendre les exercices ordinaires de la

maison. J’avais cependant la figure, tous les mem-

bres, mais surtout une fesse et les cuisses, extrê-

mement endoloris. Quelques jours après, ma mère-

vint me voir au parloir, sut ce qui m’était ar-

rivé, et mon père me fit sortir de la maison.

D. Lorsque vous avez raconté à vos camarades

la correction qui vous avait été infligée, que vous

dirent quelques-uns d’entre eux ? — R. Qu’ils en

avaient reçu autant dans d’autres occasions. Je

citerai de Connat, de Montfort et de Longat.

2e témoin. — Emile Dégranges, médecin asser-

menté près le tribunal, a examiné le jeune Sé-

géral après sa sortie de l’école de Tivoli, et une

seconde fois, dix-sept jours après les coups reçus.

Nous avons reproduit textuellement le premier

rapport du docteur. Le second constate que les

sévices ne laissent plus de douleur bien sensible,

mais que la trace en est encore apparente.

Sur la demande de M. l’avocat impérial, deux

pièces à conviction ont été apportées, la chemise

qu’avait le jeune Ségéral dans la journée du 22

novembre, et la discipline. La chemise est déchi-

rée aux poignets par suite de la lutte de l’enfant

avec le P. Commire ; elle porte quelques petites

taches de sang. La discipline est une réunion de

cordes solidement tressées, qui se terminent par

plusieurs brins à nœuds. Le jeune Ségéral re-

connait que c’est avec cet instrument qu’il a dû

être frappé.

3e témoin. — De Connat, quatorze ans et demi,

élève de l’école des jésuites à Tivoli : le 23 no-

vembre, pour une faute commise du réfectoire,

je fus mis au cachot vers les sept heures et de-

mie du matin. J’y restai jusqu’à huit heures et

demie du soir sans manger, et je reçus une cor-

rection du P. Commire.

D. Votre déposition écrite est beaucoup plus

explicite. Vous y déclarez que de votre cachot

vous avez souvent réclamé des aliments, qui

vous ont été refusés ; enfin, et surtout, que le

soir le P. Commire vint dans votre cellule et

vous dit : « je suis l’exécuteur : je n’ai contre

vous aucun motif de haine ; mais il faut que je

vous fustige. » Vous ajoutez qu’alors, sur votre

refus de vous déshabiller, vous reçûtes des coups

de cravache si vivement administrés, que votre

pantalon en fut déchiré. Est-ce vrai, cela ? — R.

C’est un peu exagéré. Ainsi les déchirures de

mon pantalon ont pu être faites par des clous

d’une caisse qu’il y avait dans le cachot, et sur

laquelle je m’agitais beaucoup.

D. Mais le reste est-il vrai ? Est-il vrai que vous

êtes resté tout le jour sans nourriture, et que le

P. Commire vous a dit : « Je suis l’exécuteur. »

— R. Oui, il est vrai que je n’ai pas mangé ;

mais je ne sais trop si le P. Commire m’a dit

les paroles que je lui ai attribuées.

Me E. durier : Je demande au témoin si depuis

qu’il a été entendu dans l’instruction, on l’a prié

d’atténuer sa première déposition — R. On m’a

laissé libre de dire ce que je voudrais ». (Hilarité

et mouvement)

4e témoin. — Léon de Montfort, treize ans et

et demi, élève de l’école des PP. Jésuites à Tivoli :

Un jour de l’année dernière, comme je venais de

commettre une faute grave, après en avoir com-

mis un certain nombre depuis très peu de temps,

je demandai au P. Commire de me châtier en

m’administrant des coups de discipline. Il a fait

ce que je lui demandais, il me les a donnés.

(Hilarité.)

D. Mon enfant, si ce que vous dites là est vrai,

il faut avouer que vous êtes l’écolier le plus ex-

traordinaire, le plus singulier, le plus excentri-

que, non seulement de Bordeaux, mais encore

peut-être du monde entier Comment ! c’est vous

qui demandez à votre maître de vous adminis-

trer le fouet ! c’est vous qui priez qu’on veuille

bien vous fouetter ! — R. Oui, monsieur.

D Et vous avez reçu, avez-vous dit dans l’in-

struction, soixante coups de fouet ? — R. Oh !

ceci est bien sans doute un peu exagéré. Je ne

pense pas en avoir reçu autant.

D. Enfin, quel que soit le nombre, cela vous a-

t-il fait du mal ? — R. Non monsieur.

D. Tout au contraire, sans doute ; vous en

avez été très satisfait ? — R. Oui, monsieur.

D. Je répète que vous êtes un prodigieux éco-

lier ! Dans l’instruction, votre déposition, légère-

ment différente de celle que vous venez de faire,

quoique encore bien étonnante serait cependant

plus croyable. Vous y disiez que le P. Commire

vous ayant offert de vous administrer la disci-

pline, vous y aviez consenti. Aujourd’hui, vous

renchérissez là-dessus. Ce n’est plus le père

Commire qui vous a offert, c’est vous qui avez

demandé. Je dois vous dire que votre première

version est conforme, et non pas celle d’aujour-

d’hui, à la déclaration du P. Commire. — R.

Monsieur le président, qui accepte demande !

(Mouvement très marqué dans l’auditoire)

m. le président : Qui accepte, demande ! dites-

vous. C’est là, mon enfant, une singulière maxi-

me, et que ne vous a pas suggéré une connais-

sance loyale du sens des mots. A moins d’avoir

les notions perverties ou d’être le dernier de vo-

tre classe en synonymie, vous devez savoir

qu’accepter n’est pas du tout la même chose que

demander. Par conséquent, en disant l’un pour

l’autre, vous ne dites pas du tout la vérité.

5e témoin. — De Lougat, douze ans et demi,

élève de l’école des PP. Jésuites de Tivoli : Je ne

sais rien, je n’ai rien à dire, sinon qu’en accusant

les Pères de m’avoir battu, comme je l’ai fait,

j’ai menti. Je me trouve très bien à Tivoli ; je

n’y ai jamais été maltraité ; les RR. PP. ont

toujours été trés bons pour moi.

m. le président : Dans l’instruction, mon en-

fant, vous avez déposé ce qui fuit : que vous

étiez dans la cour de récréation avec le jeune

Ségéral : que celui-ci vous raconta les sévices

dont il était l’objet le 22 novembre : qu’alors vous

lui dites avoir été fustigé vous-même peu de

temps auparavant, mais dans un autre cachot

et avec un martinet à manche, au lieu d’une

corde à nœuds. Cette déclaration de votre part

était corroborée par le témoignage de Ségéral,

qui rapportait votre conversation dans les mêmes

termes. Aujourd’hui, vous prétendez que tout

cela est mensonge ; qu’au moins il est faux que

vous ayez jamais été battu. — R. Oui, monsieur

j’ai bien dit cela à Ségéral ; mais ce n’était pas

vrai.

D. Rien n’était vrai ? Ces détails, ces circon-

stances d’un autre cachot, d’un autre instru-

ment, de coups qui vous auraient laissé des tra-

ces aux jambes et aux reins pendant hait jours,

cette particularité, que vous étiez puni pour avoir

appelé un de vos professeurs asperge, tout cela

était de voire invention ? R. Oui, monsieur.

D. Et pourquoi aviez-vous menti, mon en-

fant ? Parce que le jour où l’on m’a interrogé

j’étais en colère, ayant été puni le matin.

D. Mais quand vous aviez confié à Ségéral

qu’on vous avait battu, vous n’étiez pas en co-

lère ? Pourquoi lui avez-vous fait cette histoire ?

— R. Une idée ! mais c’était faux, et la vérité

est que jamais on ne m’a battu.

Sixième témoin. — Maudieu, dix-huit ans, an-

cien élève de l’école des PP. jésuites de Tivoli :

Il y a cinq ans et demi environ, j’étais élève de

Tivoli. Un jour, pour une faute d’écolier, je fus

mis au cachot. Le soir venu, le sous-préfet d’a-

lors, qui n’était pas le P. Commire, et dont j’ai

oublié le nom, mais que je reconnaîtrais à mer-

veille si on le représentait, m’invita à le suivre

et me fit monter au quatrième étage de la ma-

son, au grenier. Là il me dit que j’allais rece-

voir une correction manuelle. Je le priai, je le

suppliai, mais en vain. Il me déshabilla de vive

force, puis, à son appel, un garçon arriva, le

visage dissimulé par une barbe postiche et un

masque d’escrime. Malgré mes plaintes, mes ins-

tances, mes cris, cet homme m’administra plu-

sieurs coups de bâton, jusqu’à ce que le père eût

dit que c’en était assez.

Septième témoin. — Rémy Tréyéran, négo-

ciant à Bordeaux : Mon fils était, à l’école de

Tivoli, voisin de classe du jeune Ségéral, et

maintes fois il a eu à se plaindre de ses bruta-

lités qui dépassaient de beaucoup des malices

d’écolier. Ainsi Ségéral prenait plaisir à fixer

sur le siège de mon fils des morceaux de plu-

mes d’acier qui lui entraient dans les chairs.

Mon fils en a été souvent blessé et il s’en est

plaint.

Huitième témoin. — Maurice de Larrard,

douze ans, élève à l’école Tivoli : Le matin du

22 novembre, j’avais eu une première querelle à

l’étude avec mon voisin Ségéral. Il s’agissait

d’une petite dette qu’il me réclamait plus vite

que je ne devais la lui paver. Ségéral me donna

un coup de poing qui me fit saigner. A la seconde

étude, Ségéral recommença. Je saignai encore

du nez, et alors on l’emmena au cachot.

Neuvième témoin. — De Longrat père, ancien

officier de marine, demeurant à Bordeaux : J’ai

mis mon fils en pension chez les Révérends Pè-

res jésuites de Tivoli, et je leur ai donné tous

les droits de correction sur lui Je ne crois pas

qu’ils l’aient jamais frappé. Mon fils ne me l’a

jamais dit Mais s’ils l’avaient fait, convaincu que

c’eût été pour son bien, je les en aurais remer-

ciés.

m. le président : Témoin, que voulez-vous di-

re ? Admettez-vous donc que ce soit un bon mo-

yen d’éducation de corriger les enfants en les

frappant ? — R. Oui, monsieur, quand il y a

lieu.

m. le président : Monsieur, un maître qui

frappe un enfant ne le corrige pas, il l’abrutit. Ne

pensez pas d’ailleurs que le père ait le droit de

battre son enfant. La loi interviendrait alors pour

protéger l’enfant et nous condamnons ici, au nom

de la loi, les pères qui abusent de leur autorité

et de leur force pour sévir cruellement contre un

être plus faible qu’eux. Vous n’aviez donc pu

déléguer aux PP. Jésuites un pouvoir que vous-

même n’avez pas. — R. Monsieur le président,

mon fils a l’imagination très vive ; il invente,

ment souvent. C’est une histoire particulière qu’il

faut redresser de bonne heure, et j’aime mieux

que mon fils soit fustigé à douze ans que s’il de-

vait être à trente ans un malhonnête homme.

m. le président : Mais admettriez-vous donc,

monsieur, qu’on eût agi envers votre fils comme

on l’a fait envers le jeune Ségéral ? Que l’on

eût déchiré sa chemise, étouffé ses cris et blessé

ses reins et ses cuisses ? — R. Oui, monsieur,

s’il l’avait mérité.

m. le président : Allons, monsieur, vous vous

croyez encore à votre bord ! Ce sont là des trai-

tements que l’on emploie vis-à-vis des coolies ou

des mousses !

m. l’avocat impérial : Non pas vis-à-vis des

mousses. La garcette est interdite.

m. le président : Je vous répète, monsieur,

que ces moyens d’éducation ne sont pas plus ad-

mis par la loi que par la raison et la morale.

Ce n’est pas ainsi que l’on peut espérer former

l’intelligence et cœur des enfants. (Applaudis-

sements danss l’auditoire)

m. le président : Je vous invite au silence,

messieurs, je ne cherche pas vos applaudisse-

ments. Toute marque d’approbation ou d’impro-

bation est ici une inconvenance. Et, pour moi,

j’ai seulement exprimé selon mon devoir de

président, et comme un bon père de famille,

comme un homme, les sentiments qui sont dans

la nature.

le témoin : Je maintiens que j’aime mieux

voir mon fils corrigé à douze ans que malhonnête

homme à trente. Et quand on a une confiance

absolue dans les maîtres, comme je l’ai dans les

RR. PP Jésuites, on peut leur donner tous les

droits que l’on a soi-même.

10e Témoin. — Mme  de Longat, demeurant à

Bordeaux : Je vois mon fils à l’école de Tivoli

au moins tous les huit jours, presque toujours

deux fois la semaine. S’il eût été frappé par les

RR. PP., je l’aurais su. Je suis donc certaine

qu’il a menti quand il l’a dit avoir été frappé, et

qu’aujourd’hui il dit la vérité en se rétractant.

D. Mais, madame, votre fils disait avoir été

frappé à un endroit qui ne se voit pas au parloir

Vous auriez pu ignorer cette correction qu’il au-

rait subie, et que, par un sentiment facile à

comprendre, il vous aurait cachée — Rt. Mon-

sieur, mon fils me dit tout. Il ne m’a jamais dit

cela. C’est un enfant à imagination ardente. Je

suis persuadée qu’il a menti en accusant ses

maitres. D’ailleurs, ses maîtres l’auraient cor-

rigé…

m. le président : Vous ne voulez assurément

pas dire madame, que si ses maîtres l’eussent

mis en sang, eussent déchiré sa chemise, étouffé

ses plaintes, vous auriez approuvé cela ? — R.

Non. monsieur ; mais…

m. le président : Cela suffit madame, il n’y a

pas un cœur de mère qui put faire une autre ré-

ponse.

le témoin : J’achève ma déposition, monsieur

le président, en déclarant que le jour où j’appris

l’aventure du jeune Ségéral, j’allai à l’école de

Tivoli voir mon fils. Je lui demandai s’il avait

quelques fois été frappé. Il me répondit que non.

11e Témoin. — M. de Montfort père, demen-

rant a Narbonne : Je confirme la déposition faite

par mon fils dans l’instruction, parce que je ne

doute pas de sa sincérité. Mon fils est d’un tem-

pérament exceptionnel. Non seulement il est ca-

pable de réclamer une punition corporelle qu’il

croirait avoir méritée ; mais même je l’ai surpris

le corps ceint d’une discipline avec laquelle il se

fustigeait lui-même quand il jugeait devoir le

faire.

m. le président : Ceci, monsieur, passe toute

mesure. Si votre fils en est là, je vous engage à

le surveiller de très près, car ce sont là des actes

de folie.

le témoin : J’ai été, monsieur, très affligé de

cette découverte. Cependant, j’ai dû vous faire

connaître la vérité. Le caractère de mon fils est

ainsi. J’ajoute que j’aurais désespéré de le culti-

ver moi-même comme il convenait, et que je

sais un gré infini au R. P. Rous des soins qu’il

lui a prodigués, et qui ont obtenu des résultats

excellents. Je suis si reconnaissant à ce Père,

que, où il ira, je confierai sans hésiter et aveu-

glément mon fils à sa direction.

La liste des témoins est épuisée. M. le

président procède à l’interrogatoire des pré-

venus.

françois commire, âgé de trente-cinq ans, né à

Muret (Haute-Garonne), sous-préfet des études

à l’école de Tivoli.

D. Vous êtes prévenu d’avoir, le 22 novembre

dernier, porté des coups et fait des blessures au

jeune Joseph Ségéral, âgé de treize ans ? — R

Le cas n’est pas niable, monsieur le président.

D. Vous avez été cruel pour cet enfant.

Vous l’avez couvert de contusions Le matin, vous lui

avez tiré les cheveux en le menant au cachot ;

vous le laissez, de huit heures à quarte heures,

sans boire ni manger ; à quatre heures, vous lui

donnez du pain sec ; à sept heures du soir, en-

core du pain sec ; et à dix heures, tout cela n’a

pas suffi, vous arrivez dans sa cellule, vous le faites

déshabiller, vous lui retroussez sa chemise,

vous le frappez à coups redoublés. Il vous

échappe, vous le poursuivez, vous le rejoignez,

le jetez sur un lit, et vous frappez encore, en

étouffant ses plaintes, et lui fermant la bouche,

jusqu’à ce qu’enfin il vous échappe encore et ga-

gne son lit à travers l’obscurité. N’avez-vous

pas pensé que cet appareil, cette succession de

châtiments pourraient influer d’une façon désas-

treuse sur le cerveau de l’enfant, et qui sait,

peut-être le rendre fou ? N’est-ce pas assez de

la première punition ? — R. Monsieur le pré-

sident, la première punition eût pu suffire pour

une faute isolée. Mais il y avait des fautes nom-

breuses. Quant aux mauvais traitements, on les

a exagérés. La preuve que je ne tenais pas l’en-

fant bien fort, c’est qu’il m’a échappé, au mo-

ment où il avait reçu seulement quatre à cinq

coups. Ensuite, je ne l’ai pas bâillonné ; je lui ai

 mis la main devant les lèvres pour l’empêcher

de crier. Enfin, il est bien certain que dans tout

ce qui s’est passé, je n’ai cédé à aucun senti-

ment de haine ou de colère personnelle, mais

je n’ai recherché que l’intérêt de l’enfant. Je

reconnais m’être trompé en recourant à ce

moyen ; je regrette d’avoir frappé plus et plus

fort que je n’aurais dû et voulu, car je voulais

moins donner à l’enfant une correction sensi-

ble qu’une correction humiliante ; mais j’ai agi

de bonne foi.

D. En frappait le jeune Ségéral, vous avez

obéi, n’est ce pas, à un ordre du P. de la Judie

et rempli un devoir de votre charge ? — R. Non,

monsieur Je n’avais pas reçu d’ordre du P. de

la Judie. J’ai infligé la correction après entente

avec ce Père, mais sans ordre de sa part.

D. Mais le P. de la Judie est votre supérieur,

il n’a donc pas à s’entendre avec vous. Il vous

donne des ordres que vous exécutez ? — R. Le

P. de la Judie est sans doute le préfet des étu-

des ; mais pour une correction de ce genre, la

hiérarchie n’existe pas, aucun ordre ne m’a été

donné, et, on m’en aurait donné un, que j’aurais

été parfaitement en droit de ne pas y obéir. J’ai

agi de mon propre mouvement, après m’être

entendu avec le P. de la Judie.

D. Il serait d’autant moins étonnant que l’on

vous ait donné un ordre, que cet office rentrait,

avez-vous dit, dans votre charge — R. Oh ! non,

monsieur. Si j’ai dit cela, je le rétracte. C’est

inexact.

me bernard : Vous ne pouvez pas rétracter cela,

monsieur Commire. Vous l’avez écrit et signé.

Je lis, en effet, dans votre déposition recueillie

par l’instruction, et en tête : « Par la nature de

mes fonctions ; j’ai le pénible devoir d’infliger aux

élèves les corrections qu’ils ont méritées. » Plus

loin : « Je dis à l’enfant de se déshabiller pour

recevoir une punition qu’il était de ma charge de

lui donner. » Et vous avez signé. — R. Oui, mon

sieur, mais à tort. J’avais eu tort de dire cela à

M. le Commissaire, et j’ai eu tort de le signer.

Du reste, mon inexpérience complète des choses

judiciaires explique cela. Je ne savais pas que

ma déposition dût être écrite et signée. Lorsque

je vis que M. le commissaire la dictait, je le

priai de me permettre de l’écrire moi-même ; ce

qui me fut accordé. Ce que j’ai écrit est vrai,

sauf ces mots « qu’il était de ma charge de lui

donner ; » les deux premières lignes ne sont pas

de mon écriture, et je les rétracte.

D. Mais vous les avez signés ? Vous avez dit ce

qui s’y trouve ? — R. Oui ; mm je n’aurais pas

dû le dire, parce que cela n’est pas. Je le ré-

tracte.

D. Un témoin a déclaré pourtant qu’en venant

le trouver pour lui infliger une correction, vous

lui avait dir : « Je suis l’exécuteur » Cela con-

corde bien avec votre déposition écrite. — R. Je

ne crois pas avoir tenu ce propos. Mais je répète

qu’il n’y a pas chez nous de charge qui obliige à

administrer les corrections manuelles. Notre règle

nous interdit même ces punitions.

m. le président : Si votre règle vous les inter-

dit, il n’y parait guère ; car vous avez ainsi fla-

gellé le jeune de Connat et le jeune de Montfort ?

— R.  Il y a, dans le récit qu’on a présenté de

ces deux faits, des exagérations. De Connat a été

frappé de quelques coups d’une demi-cravache

par-dessus ses vêtements. Je lui avais demandé

de les ôter, et comme je vis qu’il ne le voudrait

pas, je n’insistai pas. Il s’agissait beaucoup

moins de lui faire un mal sensible que de l’hu-

milier parce qu’il se montrait orgueilleux. Je nie

absolument que ces coups aient pu déchirer son

pantalon. Si le pantalon a été déchiré, c’est

aux clous de la caisse qui était dans le cachot, et

sur laquelle de Connat s’agitait violemment.

 m. le président : Que la cravache ait produit

les déchirures, ou que les déchirures soient ve-

nues de ce que de Connat s’agitait sous le fouet,

il n’y a pas grande différence. Et de Montfort ? —

R. Ce qu’a raconté de Monfort est vrai. Comme

il avait commis une série de fautes, et notam-

ment une faute grave, je lui proposai de le cor-

riger avec la discipline. Il a accepté. On a seu-

lement exagéré le nombre des coups ; il n’y en

 a pas eu soixante.

m. le président : Ce fait là s’est produit avec

une circonstance particulière que je dois vous

prier d’expliquer. Vous avez engagé votre parole

vis-à-vis de Montfort. que vous ne révéleriez pas

la punition que vous lui aviez infligée, et vous

avez tenu à consigner dans l’instruction que ce

n’était pas vous qui aviez le premier manqué à

ceette promesse. — R. Oui, monsieur. De Mont-

fort étant assez puni m’avait demandé de lui

éviter l’humiliation de la publicité, le déshon-

neur. Je le lui avais promis et devais tenir ma

parole.

m. le président : Le déshonneur ! dites-vous.

vous trouvez donc qu’il y a du déshonneur à

recevoir des coups ! Et vous en donnez à des

enfants ? Ce ne sont pas là des moyens ordinaires

de bonne éducation. — Le second prévenu ?

paul de la judie, trente ans, préfet des études

de l’Ecole de Tivoli. — D. Vous êtes prévenu,

monsieur, de complicité dans les coups et bles-

sures portés par M Commire aux jeunes Ségéral,

de Connat et de Montfort. Quelles sont vos expli-

cations ? Navez-vous pas ordonné de sévir con-

tre ces enfants ? — R. Le jeune Ségéral, que vous

citez le premier, était un élève très indiscupliné.

Le matin du 22, il avait blessé un de ses cama-

rades ; à onze heures, la même scène se repro-

duit. Le fait m’est signalé par le surveillant ; je

réclame l’enfant en écrivant : il est juste que le

faible ne soit pas victime du plus violent ; en-

voyez-moi Ségéral. Quand je vis l’enfant, je lui

dis : Je ne veux pas m’abaisser à vous donner

des coups de poing, quoique votre père m’ait au-

torisé à vous corriger ; mais ce soir vous serez

châtié. Et je le mis au séquestre. Que mangea-t-il

dans la journée ? je l’ignore, parce que ce soin ne

me concerne pas. Après le coucher, le P. Com-

mire vint dans ma chambre, comme il fait chaque

jour, pour me rendre compte et conférer s’il y a

lieu. Je lui exposai le cas de Ségéral, et luis dis

que j’avais autorisation du père de le corriger

manuellement.

m. le président : M. Ségéral conteste cela for-

mellement. Il déclare qu’un jour qu’il y avait eu

parmi vos élèves une sorte de manifestation, il a

dit à son fils devant vous que s’il prenait part à

des désordres, il viendrait le corriger lui-même ;

et que son fils étant ensuite retourné à son étude,

il vous recommanda au contraire de le traiter

avec douceur, parce que vous n’obtiendriez de

bons résultats que par ce moyen-là. — R. Je

maintiens ce que j’ai dit. J’avais reçu de M. Sé-

géral une autorisation formelle, et qu’il n’a

même pas niée lorsque, le jour où il a ramené

son fils, je le lui ai rappelé.

E. Et sur le fait de violence en lui-même,

qu’avez-vous à dire ? — R. Ce fait m’est étranger.

C’est celui du P. Commire.

D. Mais n’aviez-vous pas donnez l’ordre de bat-

tre l’enfant, et lorsque l’enfant s’est réfugié dans

votre chambre, ne l’avez-vous pas remis entrer les

mains du P. Commire pour qu’on achevât la cor-

rection ? — R. Je n’ai pas donné l’ordre au P. Com-

mire et je suis resté étranger à la correction.

L’enfant est, à la vérité, venu dans ma chambre ;

j’étais alors occupé à lire, et je me suis contenté

de lui enjoindre par un signe de retourne à son

séquestre.

D. Vous êtes également complice du fait de

Connat ? — R. Cet enfant avait poussé des cris

perçants dans le réfectoire et le vestibule qui y

conduit. Je le menai au séquestre. Dans la jour-

née je lui portai du pain ; il me reçut si mal que

je ne lui donnai pas. C’est ainsi qu’il resta douze

heures sans nourriture. Le soir, vers huit heu-

res, et non pas vers neuf heures, comme on l’a

prétendu par exagération, le P. Commire lui ad-

ministra une correction avec un morceau de cra-

vache par-dessus ses vêtements. J’avais dit au

P. Commire : Cet enfant se vante qu’aucune cor-

rection ne viendra à bout de lui ; il peut être

bon de lui infliger celle-là.

D Mais, monsieur, est-ce que douze heures

de cachot et de privation d’aliments n’étaient

pas suffisants ? — R. Monsieur le président, je

ne puis qu’exprimer mes regrets.

D Notez que les coups ont été portés très vio-

lemment, de manière à laisser des traces et à

causer, pendant plusieurs jours, une douleur sen-

sible. — R. Ceci est de trop. L’enfant m’a affirmé

qu’il n’avait pas souffert.

D. Et le fait de Montfort ? — R. Il a été exagéré.

De Montfort n’a pas reçu soixante coups de dis-

cipline, et ce qu’il en a reçu, il l’avait demandé.

C’est un enfant très singulier, très extraordinaire.

Il lui arrivera, par exemple, au réfectoire, à

l’étude, au milieu du silence, d’entonner la Pré-

face de la Messe, ou le Kyrie eleison. Sa nature

ne se peut comparer à aucune autre. La correc-

tion qu’il avait accepté l’a rendu beaucoup plus

docile.

D. Mais, monsieur, en encourageant des en-

fants de cette sorte, en vous prêtant à leur ca-

prices, vous ne pouvez que dépraver leur imagi-

nation et affaiblir leur corps. Un de vos élèves est

resté douze heures sans nourriture, et vous le

frappez ensuite ! Un autre accepte ou demande

de recevoir soixante coups de discipline, et vous

les lui appliquez ! — R Je déplore tout cela,

je le regrette, et d’autant plus vivement qu’en

m’y prêtant je désobéissais à ma règle et à mon

supérieur.

D. Expliquez-vous sur le fait de Longat. — R.

Je ne sais si on a frappé de Longat. Mais j’af-

firme ne l’avoir pas frappé moi-même et n’avoir

pas ordonné qu’on le frappât. Je me rappelle

seulement l’avoir mis au séquestre.

D. De Longat a raconté, au commencement

de l’instruction, que vous l’aviez enfermé dans

un cachot infect, cachot autre que celui où Sé-

géral a été enfermé, et qui servait de déversoir

aux Frères. Vous soutenez que là c’est bornée sa

punition, et qu’il n’a pas été frappé ? — R Oui,

monsieur : du moins je ne l’ai pas appris.

D. C’est donc une habitude de votre maison,

que de maltraiter les enfants ; car enfin nous

vous voyons tout un attirail d’instruments de

correction, et les faits de sévices se sont mul-

tipliés à ce point que vous auriez dit au jeune de

Connat, qui en a déposé : « Il y en a d’au-

tres que vous qui ont été fouettés, mais ils ne

s’en vanteront pas. » — R. Je nie avoir tenu ce

propos. Il est malheureusement vrai que j’ai

permis plusieurs corrections. J’ai en ceci mé-

connu les volontés de mon supérieur et de la

régie. J’ai agi de ma propre initiative. L’année

dernière, le R. P. Roux m’en fit même l’obser-

vation à deux ou trois reprises. J’ai persisté

quand l’occasion me l’a suggéré, inspiré par l’in-

térêt des enfants. J’avoue que je me suis

trompé et je le déplore.

D. Dès 1863, ces habitudes semblent avoir été

celles de la maison, puisque le jeune Maydieu,

à cette époque, a été appréhendé et fouetté, sur

l’ordre du sous-préfet des études, par un homme

armé d’un bâton et masqué. — R. Non, mon-

sieur, ce n’étaient pas les habitudes de la mai-

son. Le fait que vous citez m’est étranger, et je

puis dire que ces corrections ont été introduites

par moi contre la volonté du R. P. Roux, qui

les ignorait ou les blâmait.

m. le président : Monsieur Roux, dites-nous

vos nom, prénoms et qualités, et fournissez

telles explications qu’il vous plaira. Vous êtes

assigné comme civilement responsable des actes

de vos subordonnés. — R. Je me nomme Jean

Roux, âgé de moins de quarante ans, recteur de

l’Ecole de Tivoli. Je n’ai aucune explication à

fournir, sinon que j’ai ignoré les » faits qui vous

sont soumis lorsqu’ils ont eu lieu, et que, quand

je les ai connus, je les ai blâmés et désavoués,

comme contraires à notre règle et à ma volonté.

Je dois ajouter toutefois que je ne doute pas des

intentions de mes subordonnés, qui en se trom-

pant, ils le reconnaissent aujourd’hui, ont tou-

jours agi en vue de ce qu’ils croyaient être l’in-

térêt des enfants.

 

Il est trois heures, l’audience est suspen-

due.

A la reprise. Me Emile Durier a soutenu

la plainte de M. Ségéral, et a, pendant une

heure environ, tenu l’auditoire sons le

charme de sa parole élégante, précise,

puissante dans sa modération.

Me de Sèze a répondu avec son talent et

sa chaleur habituels.

M. le procureur impérial a prononcé un

réquisitoire remarquable de mesure et de

fermeté, et, après une délibération d’envi-

ron vingt minutes, le tribunal a rendu un

jugement qui condamne les sieurs de la

Julie et Commire, chacun à dix jours

d’emprisonnement, et le P. Roux, solidai-

rement avec les deux autres à 300 fr. de

dommages-intérêts envers M. Ségéral.

L’audience a été levée à six heures.

                              

 

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE LA SEINE

 

Il y a une dizaine de jours, un individu

se présentait au magasin de Sainte-Cécile,

rue du Bac, et demandait à parler à

Mlle Maria Courtin, employée de cette

maison ; ou la fait appeler, et l’individu lui

remettait une lettre ainsi conçue :

 

Ma chère et bonne enfant.

Je te dirai que je suis dans le plus grand be-

soin. voilà trois jours que je neit rien pris et

j’ai faim je suis même au lit car je souffre d’en-

nui et de besoin jai coucher 2 jour dehors est un

pauvre monsieur que je t’en voi qui m’a recueil-

lie enfin je suis poussé à la dernière extremité

je me recommande à toi

Je t’embrasse de tous cœur ton pauvre et mal-

heureux père.                             Jules Courtin.

 

Tout émue à la lecture de cette lettre,

Mlle Courtin interroge le porteur ; celui-ci

confirme qu’il a, en effet, recueilli son père

malade et malheureux ; il reçoit les 5 fr.

demandés et se retire.

Le lendemain, un nouvel individu se

présente au même magasin et demande,

lui aussi, à parier à Mlle Maria ; cette de-

moiselle accourt. « Voici, lui dit-il, une

lettre de mon frère, le jeune homme qui

est venu hier. » La jeune fille ouvre la

lettre et lit ce qui suit :

 

Mademoiselle Maria.

Ne pouvant me présenter moi-même, je vous

envoie mon frère. Je vous dirai que j’ai conduit

M. vautre père à l’hotelle Dieu, il est sal Saint

Marte, lits n° 44, M. Maison neuve docteur me

dit qu’il a été bien mal, je lui ai achetée une

chemise de 3 francs un gilet d’occasion de 1 fr.

10 c. maintenant j’ai 3 francs de visite, 2 francs

de voiture et 1 fr. 50 c. que je lui ai donner seu-

lement je vous dirais que je suis jainé et il m’a

recommandé de vous demandé le reste il reste

dû 7 fr. 75 c.

Je conte sur vous car j’ai ma mère et mon

frère à soutenir je ferai pour M. vautre père

tout ce que je pourrai,

Je vous salut.                          Louis Mouraux.

 

Le jour suivant, troisième jeune homme

qui vient demander Mlle Courtin : « Made-

moiselle, lui dit-il, j’ai à vous apprendre

une triste nouvelle : votre pauvre père est

mort la nuit dernière, l’enterrement a lieu

demain à telle heure. »

La pauvre fille était anéantie par cette

nouvelle si subite et si imprévue : Voici,

ajoute le funèbre émissaire, un billet à or-

dre de 45 fr. que votre père avait souscrit

au jeune homme que vous avez vu hier,

qui l’avait recueilli comme vous savez, et

qui lui avait prêté de l’argent ; il n’a pu

venir lui-même, voulant rester à veiller le

corps de votre pauvre père ; mais il est

très gêné, et si vous pouviez seulement me

remettre 30 fr. pour lui, à-compte sur les

45 fr., cela l’obligerait.

Mlle Maria, tout à sa douleur, répond

qu’elle règlera cette affaire dans quelques

jours, puis elle court avertir ses deux

sœurs de la perte qu’elle vient de faire.

Elle commande trois chapeaux de deuil

pour le lendemain, puis se rend rue de

Sartines, au siège de la société des garçons

boulangers, dont son père faisait partie,

afin de savoir comment il se faisait qu’on

l’avait laissé mourir de misère.

On ne savait pas du tout ce qu’elle vou

lait dire, et elle se mettait en devoir de

leur raconter les faits ci-dessus rapportés,

quant tout-à-conp elle jette un cri d’é-

pouvante : c’était son père, bien portant,

qu’elle venait de voir entrer !

Elle lui apprend ce qui se passait, et le

père Courtin reconnaît dans le premier

émissaire un nommé Huon, demeurant

dans le même garni que lui, et auquel il

avait indiqué, en causant, le magasin

elle était employée.

Mlle Maria retourne à sa maison. A peine

y était-elle arrivée, que Huon se présente

à elle et s’informe si quelqu’un n’était pas

venu la voir de sa part.

La jeune fille fait un signe à ses patrons,

auxquels elle avait raconté toute l’histoire

qu’on connaît ; ceux-ci envoient chercher

des sergents de ville, et Huon est arrêté.

On connut par lui les deux autres : c’é-

taient un nommé Vergne et un nommé

Quiedeberge.

On les arrêta, et les voici en police cor-

rectionnelle.

Huon avoue tout et prétend que l’argent

a été dépensé entre lui et ses complices.

Vergne soutient qu’il n’a rien reçu.

—     J’ai, dit-il, porté une lettre sans sa-

voir de quoi il s’agissait.

Quiedeberge prétend également avoir

joué un rôle sans avoir conscience de ce

qu’il faisait. Il soutient avoir remis les

6 fr. à Huon et n’avoir rien reçu pour sa

part.

huon : Nous avons mangé l’argent en-

semble.

m. le président : Et vous, Vergne, vous

avez annoncé à cette demoiselle la mort de

son père ?

vergne : Parce que Huon me l’avait dit.

Mlle Marie Courtin a confirmé les faits

rapportés plus haut.

Le tribunal a condamné Huon et Vergne

chacun à six mois de prison, et Quiede-

berge à deux mois.

                              

 

On lit dans le Publicateur de Louviers :

Il n’est bruit en ce moment, à Louviers,

que de l’agression dont M. Guillou com-

missaire de police de cette ville, a été vic-

time de la part de deux repris de justice,

les nommés Poret et Val.

M. Guillou suivait avec sa femme la

route d’Evreux, lorsqu’à la hauteur du

château de Saint Hilaire il se croisa avec

deux individus dont l’un, le nommé Poret,

se tenait d’une façon tellement indécente,

que M. Guillou lui adressa à ce sujet quel-

ques observations qui furent très grossiè-

rement accueillies.

M. Guillou crut devoir alors décliner sa

qualité de commissaire de police ; il n’avait

[phrase coupée] sur lui