CORRESPONDANCEFigaro
10 avril 1869.À monsieur le rédacteur en chef duFigaroMonsieur, Il vous a plu d’ouvrir vos colonnes à une
lettre de madame Collet. Il vous plaira de donner place aux quelques
lignes que voici : Votre correspondante, qui, Ă force de le
répéter, finira par croire elle-même qu’elle
a voulu me tuer en 1840,
tandis qu’elle n’avait désiré que jouer un rôle et produire un effet, votre
correspondant continue à pratiquer cette espèce de dévouement qui lui est
particulière, et qui consiste à protéger les hommes puissants, à secourir les forts, à venir en aide aux gens en place. Aujourd’hui elle défend, sinon avec les mêmes armes, du moins avec la même ardeur, M. le sénateur Sainte-Beuve, comme elle défendait, il y a trente ans, M. Cousin, le ministre. Voici l’arme nouvelle qu’elle emploie en
faveur de cet académicien. Elle affirme à vos lecteurs que je suis : « Une âme flétrie, un folliculaire impudent,
à la voix rogue, à l’allure cynique, un menteur, un lâche, portant une cuirasse sous la chemise, un publiciste insolent, un jongleur dédaigné
prématurément vieilli, un vieux pamphlétaire en déroute, un gazetier impotent,
poussant dans son bouge des aboiements d’insensé, n’ayant plus le souffle, incapable d’avoir une famille, etc. » Et enfin cette muse portant le lyrisme jusqu’aux familiarités du tutoiement, s’écrie :
« Ton expectoration malsaine retombe dans ta gorge et t’étouffe ; mâche ton venin en silence, etc., etc. » Cette forme de polĂ©mique qui a donnĂ© Ă
votre numéro de ce jour-là une certaine
odeur de marée, a son nom dans la
langue
parisienne ; – ce nom je ne l’écrirai pas, les
lecteurs l’ont déjà prononcé. Sans vous jouer, monsieur, le mauvais tour
d’user du droit de réclamer pour ma réponse
le double de l’espace
accordé à ... l’attaque –
ce qui aurait pour cette fois condamné vos
abonnés à recevoir un supplément et pas de
journal – j’avais au premier moment pris la
plume pour maintenir et prouver avec facilité la vérité de ce que j’ai écrit ; – et démontrer avec clarté qu’il n’y a
pas un motdans la... lettre hallucinée de madame Collet qui ne soit... inexact... Mais une seconde lecture m’a montré si
évidemment le signe d’une démence furieuse
(qui appelle la thérapeutique
et non la discussion) que j’ai senti la pitié succéder à la colère. D’autre part un ami m’écrit : « Nous espérons bien que vous n’allez pas répondre. » Un autre ami : « Nous ne nous sommes pas
indignés, nous avons ri. » (Quelqu’un qui a dû bien rire c’est ce bon
Nadar qui avait il y a quelques jours devant
son objectif deux des
membres de cette famille « triste, pâle, souffreteuse » que madame Collet a vue dans un lieu où jamais aucun d’eux n’a mis les pieds.) Et enfin je recule, je l’avoue, devant l’extrême difficulté de répondre à cette bonne
vieille dame avec la courtoisie que je dois... aux autres femmes. Je terminerai donc cette lettre par
quelques mots à votre adresse : Avez-vous remarqué, monsieur, que depuis deux ans, il ne s’est passé guère de temps
sans que j’aie répondu à quelque attaque quelquefois du Figaro,
mais le plus souvent de personnes étrangères à sa rédaction qui, avec
moins de mesure et d’esprit, trouvent dans votre journal une facile, bienveillante et unique hospitalité. De sorte que, si je n’y mettais ordre, le Figaro finirait par être
de tous les journaux
celui où j’aurais le plus écrit. Vous êtes un homme trop pratique, monsieur, pour ne pas approuver que je pose des
limites Ă cet Ă©tat de choses. Je vais donc mettre certaines gens bien Ă
leur aise par la déclaration que voici : Ceux qui voudront à l’avenir m’attaquer
avec sécurité, n’auront qu’à adresser leurs
attaques au Figaro ; – je n’y répondrai pas. Je suis, etc.alphonse karr4 avril. — Saint-Raphaël (Maison-Close).Réf. bibl.
Transcription : Nathalie Petit
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