FEUILLETON DE LA PRESSE. DU 24 OCTOBRE 1851. SCIENCES. LA NOUVELLE PLANÈTE. — NAVIGATION SOUS-MARINE. — LE FAKIR QUI SE FAIT ENTERRER. I. Le directeur de l’Observatoire de Naples, M. de Gasparis, auquel on doit la découverte de la dernière petite planète, propose de donner a cet astre le nom d’EUNOMIA. Cette planète appartient au groupe désigné sous les noms d’astéroïdes, planète télescopi- ques, planètes ultra-zodiacales Kepler, qui signalait une-lacune entre Mars et Jupiter, doit être satisfait, s’il est de nou- veau des nôtres, cas dans lequel on peut pré- sumer qu’il s’intéresse aux progrès de l’astro- nomie. À la place de la planète dont son di- vin génie constatait l’absence, on en compte maintenant quinze, si nous ne nous trompons. On connaît cette fière parole de Kepler : « Le sort en est jeté, je publie mon livre; il sera lu par l’âge présent ou par la postérité, peu m’importe ; il pourra attendre son lec- teur; Dieu n’a-t-il pas attendu six mille ans un contemplateur de ses œuvres! » Deux siècles s’écoulèrent avant que l’obser- vation vint confirmer ses prévisions sur le le point qui nous occupe, C’est le 1er janvier 1801 que l’illustre Piazzi découvrit la première té- lescopique Cirès, Olbers vis Pallas le 28 mars | de l’année suivante; et cinq ans après, jour pour jour, il découvrit Vesta. Le 1er septembre 1804, Harding avait annoncé l’existence de Junon. En six années, quatre planètes avaient donc été ajoutées à notre système. Aucune autre découverte n’eut lieu entre 1807 et le 8 octobre 1845, époque où M. Henke aperçut Astrée. Dans les années écoulées depuis, à ces cinq télescopiques les observateurs ont ajouté : Iris, Flore, Hébé, Hygie, Métis, Parthénope, Clio (ou Victoria), Irène, Égérie, Eumonia. Ces rapides acquisitions portent à vingt-trois le nombre des planètes de notre système. Ajoutez le soleil autour duquel elles circu- lent, et qui, lui-même, paraît les entraîner vers la constellation d’Hercule, avec une vi- tesse de 1,500,000 lieues par jour, les satellites ou lunes en nombre encore indéterminé, qui accompagnent plusieurs planètes, et dont le plus remarquable est l’Anneau de Saturne ; les comètes qui traversent accidentellement notre système, et dont plusieurs y reviennent pério- diquement ; une innombrable quantité de corps solides plus ou moins volumineux qui paraissent former une zone immense autour du soleil, et dont quelques uns tombant sur la terre, quand elle se trouve dans le voisinage de cette zone, produisent 1es aérolithes et les étoiles filantes; enfin, une substance gazeuse très rare remplissant les espaces célestes, et dont l’existence semble prouvée par l’accrois- sement de vitesse de la comète d’Encke (dite à courte période), vous aurez l’inventaire com- plet de notre mobilier planétaire, jusqu’à plus ample informé, toutefois, car le coin du ciel que nous habitons n’est pas mieux connu que | la terra que nous foulons. II. J’ai rendu compte, autrefois, du projet d’un ingénieur anglais, nommé Steele, qui voulait livrer le fond humide des mers à la circula- tion. Il proposait de construire, dans ce but, une locomotive sous-marine. C’était là une idée un peu avancée; inutile d’ajouter qu’elle n’a pas eu même un com- mencement d’exécution. En la disant un peu avancée, je ne veux pas donner à entendre qu’un jour à venir on circulera dans les plai- nes sous-marines, comme on fait aujourd’hui dans les plaines sous-atmosphériques ; je n’en sais rien. Il y a des difficultés, mais j’ignore s’il en est d’insurmontables. La formule de la destinée humaine ne nous fournit qu’une solution générale de la ques- tion. Il est certain que la mer nous sera sou- mise d’une manière quelconque, depuis sa sur- face jusqu’à son lit, et, par un moyen ou par un autre, l’ignorance où nous sommes à l’é- gard de son contenu cessera. Cela ne fait pas de doute ; pas plus que ces autres conséquen- ces de la même formule : à savoir que l’air nous sera livré et que la terre nous ouvrira ses profondeurs. Mais comment l’air sera-t-il conquis? nous n’en savons rien encore. Il suffit qu’il soit ac- cessible à l’homme, ce que démontre l’aéros- tat, et qu’il soit possible de s’y diriger, ce que démontre l’oiseau, pour qu’on affirme, non pas hardiment, il n’y a nulle hardiesse à ce- la, mais rigoureusement, que l’homme se di- rigera dans l’air. N’est-il pas suffisamment démontré que sa | souveraineté fondée sur la connaissance des lois naturelles s’étend à tous les êtres soumis à ces lois, et d’autre part ne sait-on pas qu’il peut se procurer par industrie des moyens é- gaux, sinon supérieurs à ceux que les animaux possèdent naturellement? L’intelligence mise à part, il n’est pas une qualité sous le rapport de laquelle l’homme ne le cède à tel ou tel animal; mais, grâce à son intelligence, il n’est aucune créature qu’il ne puisse dépasser en perfection. Celui-ci court plus vite que lui, mais, à l’aide de l’arc ou du fusil, l’homme immobile l’attein- dra dans sa fuite rapide. Ou bien il s’approprie- ra les jambes du quadrupède; toujours il commence par faire tourner à son profit les perfections dont la nature a paré ses diverses productions. C’est ainsi qu’il emprunte au chien son prodigieux odorat, au pigeon sa merveilleuse faculté d’orientation. Mais le mo- ment vient où rien du ce que la nature a pro- duit ne lui suffit plus. Le pigeon messager est trop lent; il invente le télégraphe aérien, en attendant mieux, puis le télégraphe électrique, en attendant autre chose. La création ne lui offrant pas de porteur assez rapide, il se fabrique des jarrets d’acier, des bottes de vingt lieues à l’heure : les loco- motives. Celles-ci le conduisent-elles sur les rivages de l’océan, l’immense étendue des mers ne l’arrête point; il va se fabriquer des espèces de nageoires d’une puissance sans é- gale; il monte sur un bateau à vapeur qui, marchant jour et nuit, contre vents et marées, le transporte en neuf jours d’un rivage à l’au- tre de l’Atlantique. A juger par leur robuste enfance de ce dont il seront capables quand | ils auront fait leurs dents do sagesse, les transatlantiques ne le céderont en vitesse ni aux squales, ni aux cétacés. L’homme a des yeux bien pauvrement con- stitués, si on le compare à ces oiseaux qui pla- nant dans l’air, à des distances où nos regards ne peuvent les suivre, guettent de ces hau- teurs la proie timide qui rampe sur le sol; mais l’infériorité n’est qu’apparente, il y a quelque chose qui en tout dépasse, les plus grandes mer- veilles de l’organisation,parce que celles-ci sont dans sa dépendance. Cette chose, l’homme la possède, elle est l’homme même, c’est l’intelli- gence. En vertu de son intelligence, l’homme va se doter d’yeux d’une puissance et d’une subtilité telles, qu’il n’y aura plus auprès de lui, parmi les animaux, que des aveugles et des myopes. A l’aide de ces yeux artificiels, il contemple ces nébuleuses placées si loin, qu’elles n’ont été visibles que deux millions d’années après leur création; il compte dix-huit millions d’étoiles dans la voie lactée, tandis qu’à l’œil nu il n’en voyait que huit mille dans le ciel entier. A l’aide du même artifice, il contem- ple ces merveilles de l’infiniment petit, qui ne le cèdent point à celles dont les espaces céles- tes sont peuplés. Que la voie atmosphérique, quo les profon- deurs des océans nous soient un jour livrés, cela est donc certain. Il n’y a de doute que sur les moyens. Comment, par exemple, l’intérieur de la terre nous deviendra-t-il accessible? nous ne le savons, faute de connaître la cons- titution de la terre et d’avoir fait l’inventaire exact des moyens dont nous disposons Ce qui est fondé, c’est l’espoir que l’explora- Tion de la planéte ne sera pas bornée à ces pi- | qures d’épingles que nous avons faites sur son épiderme. Il suffit de remarquer que les puits de mines les plus profonds, ceux de Guanaxa- lo, au Mexique, ne dépassent pas 1,800 mètres, pour apprécier et l’étendue de notre ignorance sous le rapport de la constitution géologique du globe, et l’immensité du champ d’exploration réservé à l’avenir. Les grands progrès déjà réalisés par cette industrie des puits forés, qui est encore dans l’enfance, sont de nature à en - courager nos espérances. Grâce aux puits artésiens, la postérité verra des forêts s’élever sur l’emplacement de ces déserts sablonneux, qui couvrent une si gran- de étendue de la surface de la terre : les cli- matures en seront modifiées. Aux couches du globe on empruntera encore, à l’aide de son- dages, de l’eau froide et de l’eau chaude, ap- plicables à tous les usages de la vie domesti que, et employées aussi comme force motri- ce; on leur empruntera également des gaz inflammables, sources gratuites de chaleur, de lumière et de force. Il est des puits forés qui fournissent du sel, du pétrole et du bitume; il y en aura qui amèneront à la surface du sol des métaux fondus. Dire que les profondeurs de la mer seront un jour livrées à l’homme, ce n’est rien avancer de bien extraordinaire. Il en est de la naviga- tion sous-marine comme de la locomotion aé- rienne : l’une et l’autre ont donné leur plus grande merveille, l’aérostat dans un cas, la clo- che à plongeur dans l’autre. Que l’homme puis- se s’élever dans l’air, qu’il puisse descendre au fond des mers, y demeurer des heures entières, y travailler, voilà des choses prodigieuses qui Pendant longtemps furent du domaine de la |