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Cote : g226_5_f_229__r_do__ | ID_folio : 1091 | ID_Transcription : 3304 | ID_Image : 3272
De plus, en dehors des faits livrés par la pathologie à la physiologie, il y a des expériences. On prend des infusoires (des tardigrades ou des rotifères) ; on les dessèche, tout mouvement cesse ; ils sont morts ? Non, car leur structure demeure intacte. Cependant, peut-on dire qu'ils vivent ? La force inconnue qui constitue la vie, réduite à un rôle purement négatif, n’a plus ici qu'une fonction : empêcher la dissolution du corps. D'autres ont opéré sur des chenilles, sur des tritons, sur des crapauds. Ils les ont soumis à un abaissement gradué de température, la température est descendue jusqu’à 50 degrés au-dessous de zéro. Sous l’action de ce froid polaire, ces animaux sont devenus durs comme la glace. On n’observe plus en eux aucun de ces mouvements qui manifestent la vie. Sont-ils morts ? Même réponse que précédemment : leur composition reste ce qu'elle était avant l'expérience, leur structure n'est pas altérée. Mais on continue l'expérience. On humecte ces infusoires qui avaient été réduits à une complète dessiccation ; et en les humectant on les ressuscite. On réchauffe ces reptiles congelés ; le sang circule, la respiration renaît, les membres reprennent leur souplesse ; ces animaux sentent, se meuvent, ils revivent ! Est-ce tout ? Ces faits réputés rares et exceptionnels ne se rattachent-ils à rien ? Tout au contraire. Nous sommes évidemment ici sur la voie d'un principe très général. Qui n’aperçoit, en effet, d’intimes rapports entre les observations précédentes et le grand fait de la transmission de la vie par œuf ou par graine ? La graine ne respire point, bien que la respiration joue dans le règne végétal un rôle tout aussi essentiel que dans l’animalité. On sait que des graines peuvent être conservées pendant des siècles sans perdre leur vertu germinatrice ; les œufs d'animaux peuvent être également conservés pendant un certain temps. Cet état latent de la vie qu'on observe dans le cours d’une existence, n'est donc qu'un cas particulier d’une loi générale qui régit également le fait de la suspension du mouvement vital dans le passage d'une génération à l’autre. (1) (1) Il s'agit d'un crapaud trouvé vivant dans l'intérieur d'une pierre. X Il s'agit d'un crapaud trouvé vivant dans l'intérieur d'une pierre.Pourquoi le fait observé à Blois 1 a-t-il excité tant de répugnance ? Parce qu'il va contre les idées physiologiques les plus accréditées. Mais ce fait et ses congénères prouvent justement que ces idées sont erronées. Selon l'opinion commune, la vie est un phénomène essentiellement continu. D'après l'observation de Blois, le mouvement vital pourrait s'arrêter comme s'arrête celui d’une montre, et reprendre à de certaines conditions, comme reprend celui d'un chronomètre. Donc, disent les savants qui ont fait leur siège, l’observation invoquée est nécessairement fausse. Nous pensons qu'on doit raisonner autrement. Nous disons : Des faits déjà nombreux empruntés, soit à la physiologie, soit à la pathologie, qu'on a le grand tort de séparer de la première, (soit à la physiologie, et à la zoologie expérimentales), attestent que la vie peut être suspendue sans être détruite ni même altérée dans son principe. Donc, la continuité n'est pas un attribut essentiel du mouvement vital. Et cette conséquence est d'un grand prix, en ce qu'elle tend à rapprocher les corps vivants des corps bruts. Dans les uns et dans les autres, en effet, le mouvement suspendu peut renaître à deux conditions : la persistance d'un certain arrangement moléculaire et le concours de circonstances extérieures. On voit quelle importance s'attache à l'étude de ces faits singuliers que dédaignent la paresse et la routine. Et combien d'exemples nous pourrions citer ! Le fait exceptionnel de l'ambre, qui attire les corps légers, renfermait la science de l'électricité statique ; un autre fait singulier, observé par un homme de génie, a été le point de départ du galvanisme. Le fait sans pareil de la pierre d’aimant mettait sur la voie de ce monde merveilleux du magnétisme minéral. Les catégories les plus nombreuses de faits ne sont d’abord représentées que par des phénomènes exceptionnels. Quand, plus tard, on en peut apprécier le nombre, on s'étonne qu'ils soient restés si longtemps inconnus. Comment ne pas admirer l'ignorance où les anciens ont vécu sur le compte de l'électricité, qui remplit une telle place dans l'univers ! Mais il faut tirer de cette expérience un principe de conduite ; il en faut conclure que tel fait, paraissant isolé, peut-être l'indication d'une immense série de découvertes.Cherchez les exceptions, vous qui avez soif de cette gloire durable qu'on acquiert en se rendant utile aux hommes ! Un fait isolé c'est le poteau indicateur d’une route nouvelle, l'ouverture d’une mine inexplorée. Ce que nous disons des faits qui ne paraissent se rattacher à rien, il faut le dire de ces phénomènes bizarres, monstrueux, qui semblent la négation de toute loi, la privation même de l'ordre. C'est par eux justement que les lois s'établissent, et qu’on pénètre dans les profondeurs du plan, dont les faits normaux ne présentent jamais que la surface. Personne n’ignore que l'étude de la monstruosité a puissamment concourue à fonder le système anatomique ; c’est encore elle qui a fourni la plus éclatante indication de ce fait qui attend son Newton, ayant déjà trouvé son Kepler : l'affinité élective des éléments organiques. Il en est des vrais savants comme des gens d'esprit dans le monde. Ces derniers se plaisent dans la société de ceux qui ont une tournure d'esprit hors du commun, et, de même, les vrais savants recherchent les faits rares, exceptionnels, sachant qu’ils y trouveront une source d'instruction. Le vulgaire, qui se plaît à l’uniformité et fait du mot original une injure, peut réclamer comme lui appartenant ces manouvriers de la science qui n’estiment que les faits dont la place est marquée à l’avance dans les classifications, et regardent de mauvais œil ceux qui n'y entrent pas comme un bijou se loge dans la gaine faite pour lui. Le même sentiment (la chose n’est pas surprenante) domine en politique et dans la science. Ici et là on s’est fait, d’après une étude incomplète des phénomènes, une notion de l’ordre qu’on se plaît à regarder comme définitive, absolue, et à laquelle on ne veut pas souffrir d'amendement ; ici et là on reçoit comme un chien dans un jeu de quilles tout élément nouveau qui réclame sa place au soleil, et on traite en anarchiste celui qui se fait l'avocat de l'intrus.Or, comme la science est, ainsi que la société (les deux marchent nécessairement de front), parvenue à une phase critique ; comme la science actuelle sera renouvelée ainsi que la société, les faits embarrassants pour la routine, déjà nombreux, iront se multipliant de plus en plus. C’est pourquoi, dans la science comme dans la politique, l'avenir est aux hommes nouveaux, à ceux qui ont plus d'inspiration que de tradition.Laplace disait des sciences mathématiques : « Tout ce qu’on peut espérer des bases actuelles a été ressassé, et l’on retombera toujours dans la même ornière. Il faudrait refaire la science, la placer sur un nouveau piédestal, en retirer toutes les conséquences, sauf à intercaler les anciens aperçus. On ne peut pas envisager une théorie sous un nouveau point de vue, sans qu'il en découle une foule de conséquences et de résultats inattendus. Il serait à désirer que ce fût un homme nouveau, étranger aux mouvements et aux progrès des sciences, et qui n’en connût que les premiers éléments. » Or, toutes les sciences en sont là. Aussi n’approuvons-nous pas le sentiment qui portait un académicien à dédaigner le témoignage des ouvriers dans l'occasion, si simple, qui nous a servi de point de départ. Sans doute celui qui pour la première fois met l’œil au microscope ou la main au galvanomètre ne mérite pas beaucoup de confiance ; mais toutes les observations ne présentent pas d'aussi grandes difficultés. Or, la science ne marchera d'un pas rapide que lorsque tous les travailleurs se seront mis à son service. Il convient donc que les savants s'habituent à respecter le témoignage de ceux dans lesquels ils trouveront un jour d'utiles auxiliaires. La phase scientifique dans laquelle nous allons entrer est dans une étroite dépendance du mouvement social. L'homme, qui est le centre hiérarchique de l'univers, son souverain, son juge et son prêtre, en est en même temps le centre théorique, la lumière spirituelle. C’est en lui, non point au dehors, que l'homme trouvera le sens intime des phénomènes de l'ordre physique ; la science universelle sera ordonnée par rapport à l’anthropologie. Mais l’homme n'est point tout entier dans la psychologie ; c'est dans le milieu social qu’il doit s'étudier s’il veut se connaître. La science sociale est donc le centre de la science universelle. La cosmologie est le fondement de la science sociale, et sans elle cette dernière serait semblable à un amas de vapeurs suspendu entre ciel et terre ; mais, sans la science sociale, la cosmologie ne serait que ténèbres. Pour se constituer, la science universelle (réserve faite des ressources inconnues de l'avenir) emploiera deux leviers, l’un relatif aux choses, l'analogie ; l’autre se rapportant aux hommes, l'association. Quand le travail critique qui absorbe aujourd’hui notre activité sera parachevé, l'organisation de la science deviendra la plus grande affaire de la société. Or, dans les cadres de cette Église nouvelle, constituée en vue de la pratique autant que de la théorie, et foncièrement démocratique, tout le monde entrera. Pour citer un exemple, non seulement la pratique mais même les théories agricoles ne seront jamais constituées sans le secours des paysans. Il faut considérer la société entière comme une grande armée au service de la science, les savants de profession y jouent les rôles d'officiers. Que chacun se prépare donc à remplir son devoir. Tous peuvent se rendre utiles, et il n’est pas besoin d'aller loin pour trouver de dignes sujets d'étude. La vie la plus vulgaire s'écoule dans un milieu de merveilles ignorées. Habituez-vous à regarder, à observer, à comparer, à noter. En quelque endroit que vous portiez les mains, il y a tout à parier que vous saisirez une inconnue. Tout est problématique, rien n'est assis, et, si quelques-uns s'exagèrent leur insuffisance, qu'ils se rappellent cette parole de Laplace : La science a besoin d’hommes nouveaux ! VICTOR MEUNIER

Transcription : Alain Collignon

Document « brut » imprimé


Notes

1Les ajouts manuscrits expliquent déjà de quoi il s'agit mais on trouve l'explication complète de cette "observation de Blois" dans un ouvrage de ce même journaliste, Victor Meunier : Science et démocratie, Première série, Paris, G. Baillière, 1865, chapitre IX, "Sur un crapaud trouvé dans une pierre", p. 136-140.

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