Saint-René Taillandier
-
La peinture des ignominies de l’adultère dans MdeMadameMme Bovary lui a fourni l’occasion
d’une étude qui rappelle exactement les opérations anatomiques.
C’est une dissection
savante accomplie avec une impassibilité glaciale. Si ce livre a fait scandale, ce n’est
pas le sujet qui en est cause ; quel moraliste farouche pourrait souhaiter un tableau
plus hideux, un châtiment
plus terrible de ce qui est si souvent embelli ou dissimulé par
des plumes complaisantes ? Ce ne sont pas certaines
scènes où l’auteur, décidé à tout dire,
ne reculait point devant les détails cyniques. MrMonsieurM. F.Flaubert n’avait-il pas des prédécesseurs
et des maîtres en ce
genre de descriptions ? Ce qui a fait scandale, c’est l’indifférence
de sa pensée. On souffrait de voir une personne
humaine, même la plus misérable
la plus vile, travaillée si curieusement par ce scalpel. On s’indignait de ne pas
découvrir chez l’auteur aucun mouvement de l’âme, colère ou pitié, indignation ou sympathie, et cette froideur
semblait un parti pris de blesser en nous l’humanité.Réf. bibl.
- Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que l’inspiration de son œuvre est une sorte de misanthropie gouailleuse. AÀ ses yeux la vie est mauvaise et ridicule ; ce monde est le règne de l’ineptie, de la vulgarité, de l’ennui, du dégoût. Quiconque est sincère avec soi-même, quiconque examine la destinée humaine sans illusion et en parle sans hypocrisie, est forcé de convenir que la meilleure chose ici-bas est ce qu’il y a de plus physique et de plus animal en nous. Si c’est bien là comme je le pense la conclusion de ce roman, je n’avais pas tort de dire que le fond de sa pensée est la misanthropie, une misanthropie qui s’exprime, chose singulière, avec un mélange de gravité moqueuse et de licence rabelaisienne. Il faut même prendre ce mot de misanthropie dans son sens le plus étendu ; infliger à l’homme de tels outrages, c’est outrager le monde et celui qui l’a fait, à supposer que le monde soit l’ouvrage de quelqu’un. Un pessimisme qui enveloppe la création et le créateur, une misanthropie qui renferme implicitement au moins, une sorte d’athéisme, telle est la philosophie de ce livre.Réf. bibl.