gne, et ils ont répondu par les cris de : Vive la ligne ! vive la ré-
forme !
Quelque temps après, le maréchal Bugeaud s’est présenté à
la tête d’un nombreux état-major. Il a passé devant le front de
la garde nationale pour essayer de se faire recevoir comme com-
mandant général. Les cris de Vive la réforme ! l’ont accueilli sur
son passage.
Quelque temps après, Louis-Philippe est venu à cheval, ac-
compagné du duc de Nemours et du prince de Montpensier. Il a
passé également devant le front des régimens et des légions. Des
cris divers, parmi lesquels dominaient le cris de : Vive la réfor-
me ! se sont fait entendre. Il est rentré aux Tuileries. »
— Avant l’heure où devait se réunir la chambre, plusieurs
députés se sont rendus individuellement au château des Tuile-
ries, c’étaient MM. Thiers, Rémusat, Duvergier de Hauranne,
qui avaient été appelés par le roi. MM. Lacrosse, O. Barrot, Ju-
les de Lasteyrie, Gustave de Beaumont, Quinette, ont été reçus
successivement par Louis-Philippe, ils lui ont exposé le péril de
la situation, et que les fausses mesures du gouvernement et le
sang versé devant le ministre des affaires étrangères avait ravivé
une émotion qui se transformait en une fête de famille, et que la
nomination annoncée du maréchal Bugeaud au gouvernement de
la ville de Paris montrait encore le pouvoir détenu par les an-
ciens ministres.
Dix heures du matin, — La fermentation dans les esprits
augmente à chaque instant. On construit des barricades de tous
côtés, et, comme en 1830, on renverse les charrettes, les fia-
cres, etc. Toutes les boutiques sont fermées.
Dix heures et demie. — Un engagement meurtrier a lieu sur
la place de la Concorde. Des gardes nationaux et des citoyens
débouchant aux approches d’un poste de la garde municipale
sont fusillés à bout portant. Aussitôt on se précipite sur le poste,
et, dans ce moment de si légitime colère, on fait main basse sur
tous les auteurs de cet infâme assassinat.
Onze heures. — Un bataillon du régiment d’infanterie légère
caserné rue du Foin-St-Jacques se dirige, au pas de course, à la
place des Innocens. Le peuple, formé en haie pour lui livrer pas-
sage, l’accueille par les cris de : Vive la ligne ! vivent nos frères !
Midi. — Aux deux extrémités des rues aux Ours, des Gravail-
liers, Jean-Robert, Transnonain, Neuve-Saint-Merry, Phélippeaux
et de la Corderie, on travaille à élever des barricades ; l’af-
fluence sur ces différens points est immense. Vis-à-vis l’église
Saint-Nicolas-de-Champs, des détachemens de chasseurs d’Afri-
que, des gardes municipaux stationnent, l’arme au poing, prêts
à faire feu.
— Le général Lamoricière a été blessé à la main d’un coup de
feu tiré par la garde municipale.
— L’Ecole Polytechnique a partagé tous les périls et toutes les
gloires de la journée.
— Les élèves de l’école d’Alfort se sont présentés ce soir à
onze heures au National. Ces jeunes gens, tenus en charte pri-
vé depuis le commencement des événemens, n’ont appris qu’au-
jourd’hui à trois heures la révolution qui vient de s’opérer. Ils
ont immédiatement franchi les murs de l’école pour venir se
mettre à la disposition du gouvernement provisoire : rien n’é-
gale leur enthousiasme.
— On raconte que le roi s’est échappé des Tuileries par un
passage couvert qui aboutit à la poterne du pont de la Concor-
de, et qu’il est monté dans une voiture publique qui l’a transpor-
té à Versailles.
— Le combat le plus vif de la journée a eu lieu à la place du
Palais-Royal. Le poste du Château-d’Eau était défendu par les
gardes municipaux. M. Lesseré, capitaine de la garde nationale,
a eu la jambe fracassée par une balle. Le poste a été brûlé com-
plètement.
— Toutes les barricades restent debout et son gardées par des
sentinelles. Tout Paris veille sous les armes.
— De forts détachemens de gardes nationaux auxquels se sont
joints un grand nombre de volontaires font des patrouilles dans
toute la ville. Le bon ordre et la sécurité règnent partout.
— Paris entier est illuminé.
— Trois hommes surpris en flagrant délit de vol aux Tuileries
ont été, dit-on, fusillés sur-le-champ.
Voici deux pièces confidentielles qui prouvent la part que
le duc de Montpensier, malgré les dénégations de M. le général
Trézel, prenait dans les préparatifs de guerre contre Paris :
Pièce trouvée dans la bureau du duc de Montpensier :
M. ch. a.
Les troupes et les batteries d’artillerie placées sous vos ordres de-
vront être mobilisées demain mardi, et de manière à êter rendues
avant neuf heures sur les points stratégiques désignés comme il a été
couvenu, savoir :
2 canons de 12, 2 obusiers de 15, avec leurs caissons, place de la
Concorde ;
2 canons de 12, 2 obusiers de 15, avec leurs caissons, place du Car-
rousel ;
2 canons de 8, avec leurs caissons, pointe Sainte-Eustache ;
2 canons de 8, Hôtel de ville.
Les caissons d’infanterie tant à percussion qu’à silex, ainsi que les
voitures chargées de pétards et de flambeaux resteront à l’Ecole mili-
taires sous la direction d’un officier que vous désignerez à cet effet.
Toutes les voitures de vos deux batteries seront attelées à quatre
chevaux ;
Tous les chevaux restants seront garnis prêts à être montés et atte-
lés ;
Si les hostilités éclatent, le commandant du parc fera immédiate-
ment atteler, sans se mettre en mouvement, de manière à marcher
au premier ordre.
6 caissons à percussion ;
4 id. à silex ;
2 voilures de pétards.
L’avant-train de flambeaux ne sera attelé qu’à quatre heures du
soir, si les hostilités continuent.
Les chariots de pétards, ainsi que l’avant-train de flambeaux, pour-
ront être mobilisés sur l’ordre soit du commandant de l’artillerie, soit
du colonel du génie Moreaux, directeur des fortification* à Pari*.
Les troupes seront en tenue de route ; elles prendront deux jours
de vivres, un paquet de cartouches dans la giberne.
Vous prendrez les dispositions nécessaires pour que les hommes
mis en mouvement aient mangé la soupe de bonne heure. Je vous en-
gage à vous concerter avec MM. les chefs de corps placés à l’Ecole-
Militaire pour le chargement des deux jours de vivres. Plusieurs de
ces derniers ont demandé à faire cuire à l’avance le lard qui leur sera
distribué.
Vous conduirez vous-mêmes les bouches à feu qui doivent être pla-
cées sur la place de la Concorde, où vous pourrez rencontrer un grand
encombrement de troupes. Vous établirez vos pièces en batterie, de
manière à gêner le moins possible leur ordre de bataille et leurs mou-
vements dans la prévision que les colonnes assaillantes débouche-
raient de la rue Royale pour se porter dans les Champs-Elysées. Vous
combinerez vos dispositions avec l’officier-général commandant les
troupes réunies sur la place de la Concorde. Vous viendrez rendre
compte de ces dispositions chez M. le duc aux Tuileries, le plus tôt
possible, et vous y racevrez de nouvelles instructions.
Pièce trouvée dans le bureau du duc de Montpensier.
(Confidentielle. )
« Paris, le 10 février 1848.
Monseigneur,
J’ai reçu la lettre que votre altesse royale m’a fait l’honneur de
m’écrire, hier, 9 de ce mois, au sujet de la répartition des bouches à
feu de Vincennes et de l’Ecole-Militaire, en cas d’émeute.
Ainsi que le fait observer votre altesse royale, le nombre de ces
bouches à feu est de 28, tandis que les quatre batteries n’en possèdent
que 24.
« Toutefois, je désire que le chiffre de 28 soit maintenu, parce que
je le regarde comme indispensable.
En conséquence, j’ai l’honneur de prier votre altesse royale de
donner les ordres nécessaires pour que les pièces qui doivent être en-
voyées de Vincennes à la place de la Bastille (5e zone) et au boulevard
Saint-Denis (6e zone ) soient en supplément des 12 qui doivent se
rendre au rond-point de la barrière du Trône, et soient prises par
conséquent dans une autre batterie.
Je profiterai de cette occasion pour prier aussi votre altesse royale
donner des ordres pour que les pièces d’artillerie réparties dans
les diverses zones soient commandées par des officiers. Celles de la
barrière du Trône devront être placées sous les ordres d’un chef d’es-
cadron, de même que celles qui se rendront de l’Ecole militaire à la
place du Carrousel. Un capitaine prendra le commandement des qua-
tre bouches à feu réunies sur la place de la Concorde. Enfin, un offi-
cier, soit capitaine en 2e, soit lieutenant, devra être envoyé auprès
de moi, à la Préfecture de police, pour être chargé de l’exécution
des ordres que je serai dans le cas de donner, en ce qui concerne
l’artillerie.
Votre altesse royale a bien voulu me proposer, lorsque l’artille-
rie a pris possession de la caserne de Bercy, de faire occuper la place
de la Bastille par un détachement de canonniers à cheval, en rem-
placement des dragons désignés par les instructions. Je vous remer-
cie de cette offre, mais je n’en profiterai pas, attendu qu’il m’a été
possible, sans nuire aux autres dispositions, de maintenir sur le point
dont il s’agit, une force convenable en cavalerie.
Je prie votre altesse royale d’agréer l’hommage de mon respect,
Le lieutenant-général, pair de France, commandant
la 1re division militaire, T. S ÉBASTIANI. »
CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance du 24 février.
présidence de m. sauzet. — présidence de m. dupont (de l’eure)
Malgré l’annonce qui avait été faite d’une réunion dans les bureaux à une
heure, et de la réunion en séance publique seulement pour trois heures, M. le pré-
sident Sauzet monte à une heure précise au fauteuil.
Au dehors, les abords de la chambre sur la rive gauche sont complètement li-
bres, à l’exception des ponts interdits à la circulation, ainsi que la place de la
Concorde. Un fort détachement de cavalerie occupa la tête du pont et l’angle du
quai des Tuileries.
Dans l’intérieur du palais, la physionomie de l’assemblée est grave et solennelle.
Les députés conservateurs, inquiets et troublés, interrogent les personnes qui
arrivent du dehors, et semblent comprendre qu’ils ont perdu leur cause.
Vers une heure et demie, M. le président se tourne tout à coup vers les portes
latérales, comme attendant l’arrivée de personnes qui vont venir de dehors. Aus-
sitôt la nouvelle se répand dans les tribunes que Mme la duchesse d’Orléans va se
présenter avec ses deux fils.
MM. les députés entrant en foule dans la salle des séances. Ils sont au nom-
bre d’environ 300. Le banc des ministres est entièrement vide.
Un mouvement se manifeste vers la porta du couloir d’entrée ; c’est en effet
Mme la duchesse d’Orléans qui se rend au sein de l’assemblée, accompagnée de
ses fils et des ducs de Nemours et de Montpensier.
Plusieurs voit demandent que le due de Nemours quitte la sale. (Bravo !
bravo!)
En même temps, plusieurs citoyens entrent dans la salle et se placent au pied
de la tribune.
Mme la duchesse d’Orléans entre par la porte de droite, au milieu d’au pro,
fonde agitation. Elle est entièrement vêtue de noir. Ses deux fils sont à ses côtés,
la tenant chacun par une main ; ils sont en noir aussi. Tous trois s’asseyent en
face de la chambre. Derrière eux sont debout les ducs de Nemours et de Mont-
pensier. La princesse se lève pour saluer à plusieurs reprises l’assemblée.
de toute parts : — Faites silence ! faites silence !
m. dupin monte à la tribune !
m. le président, aux députés qui tous sont debout. — Messieurs, asseyez-
vous.
m. dupin. — Messieurs, les manifestations qui ont eu lieu, ont eu pour résultat
l’abdication de S. M. Louis-Philippe, qui a déclaré en même temps qu’il dépo-
sait le pouvoir, et laissait la libre transmission sur la tête de S. A. R M. le comte
de Paris, avec régence de Mme la duchesse d’Orléans. (Acclamations sur quelques
bancs.)
Messieurs, vous acclamations, témoignage si précieux pour le nouveau roi et
pour madame la régente, ne sont pas les premières qui l’aient accueillie. Elle
vient de traverser à pied les Tuileries, la place et le pont, accompagnée de ses
fils, escortés par la garde nationale...
une voix des tribunes : II est trop tard,
m. dupin : La princesse comprend ce que cette mission lui impose, pénétrée
comme elle l’est de l’intérêt public, et confiante dans l’ap-
pui du vœu national.
Messieurs, il faut que le vœu solennel de la chambre et du pays se traduise par
un acte... En attendant l’acte d’abdication qui sans doute, va être apporté par
M. Odillon-Barrot, Je propose que la chambre donne acte des acclamations qui
viennent de s’élever, et ordonne l’insertion au procès-ver bal de la proclamation
de M. le comte de Paris, comme roi des Français, avec la régence de madame
la duchesse d’Orléans. (On regarde le duc de Nemours).
Quelques acclamations se font entendre.
voix nombreuses : Silence ! non ! non !
m. dupin : Messieurs, vos acclamations sont un témoignage précieux pour le
nouveau roi et pour madame la régente. (Bruit et agitation.)
La princesse comprendra ce que cette mission lui impose, pénétrée comme elle
l’est du sentiment profond de l’intérêt public, et confiante dans l’appui du vont na-
tional.
m. emmanuel arago, placé en bas da la tribune, adresse la parole aux dé-
putés avec vivacité, et discute avec M. Sauzet, qui lui refuse la parole.
m. le président : Avant de donner la la parole à qui que ce soit, je rappelle
qu’au nom de la chambre et sur la proposition de M. Dupin, je delà déclarer :
qu’attendu l’abdication du roi Louis-Philippe et les acclamations de la chambre,
la chambre proclame M. le comte de Paris roi des Français avec la régence de
son auguste mère.
m. marie monte à la tribune.
m. de lamartine y monte également sur la demande d’un grand nombre de
ses collègues et des tribunes.
m. le président au milieu du bruit : M. de Lamartine propose que la cham-
bre ne continue sa délibération qu’après le départ de la famille royale.
m. de lamartine : Je demande, en effet, la suspension de la séance jusqu’au
départ de la famille royale.
C’est un devoir que nous avons à remplir.
La duchesse d’Orléans et ses deux enfans, après quelque hésitation, montent
vert les gradins supérieurs du centre, près de la porte du fond, où ils sont en-
tourés par plusieurs gardes nationaux.
m. le général oudinot prononce au milieu du tumulte quelques mots que
nous n’entendons pas.
Un grand nombre de citoyens ont pénétré dans la chambre et quelques-uns
vont s’asseoir au milieu des bravos des tribunes à côté des députés de l’opposi-
tion qui les accueillent avec empressement.
m. le président : L’hémicycle est obstrué. Je ne puis qu’inviter les person-
nes étrangères à la chambre à sortir de l’enceinte. Veuillez respecter l’assemblée.
Veuillez sortir, Messieurs ; il est impossible que qui que ce soit ait la parole en
ce moment.
m. marie, avec force : Je demande la parole. (Oui ! oui ! parlez !)
quelques voix : M. O. Barrot ! M. O. Barrot !
m. crémieux : M. Barrot viendra, mais écoutez M. Marie.
m. marie : Messieurs : Dans la position où Paris se trouve, vous n’avez pas
un moment à perdre pour prendre une mesure qui soit efficace sur la population.
Depuis ce matin, l’agitation a fait d’immenses progrès, et si vous tardez encore
un instant, qui peut prévoir ce qui arrivera. On vient tout-à-l’heure de procla-
mer Mme la duchesse d’Orléans, mais vous avez une loi qui nomme M. la duc
de Nemours régent. Vous ne pouvez pas aujourd’hui faire une loi. Cependant
il faut aviser ; il faut à la tête du pays un gouvernement provisoire. (Acclama-
tions.) Je demande qu’un gouvernement provisoire soit institué. (Nouvelles ac-
clamations.) Quand il le sera, il avisera; de concert avec la chambre il aura
autorité sur le projet.
m. crémieux : Messieurs, dans l’intérêt public il y a une grande mesure à
prendre ; il est impossible que tout le monde soit d’accord pour proclamer im-
médiatement madame la duchesse d’Orléans régente et M. le comte-de Paris roi.
La population ne peut accepter immédiatement cette proclamation. En 1830
nous nous sommes hâtés el nous sommes obligés en 1848 de recommencer. Ne
nous hâtons donc pas aujourd’hui. Un gouvernement provisoire que vous nom-
merez rassurera la population au sujet de tout ce qui lui avait été promis et
n’a pas été tenu !
Puisque nous en sommes arrivés à ce point d’avoir une révolution quand nous
avions voulu le changement de quelques hommes, tâchons de faire une œuvre du-
rable, et ne laissons pas à nos fils le besoin de la recommencer. (Applaudisse-
mens.)
m. de genoude : Messieurs, II n’y a rien sans le concours du pays. En 1830
vous n’avez pas appelé la pays, et vous voyez ce qui arrive ; ce sera la même
chose aujourd’hui.
M. O. Barrot. long-temps attendu, monte à la tribune.
m. o. barrot : Jamais, Messieurs, nous n’avons eu plus besoin de sang froid
et de patriotisme. Puissions-nous tous rester unis dans le même sentiment, celui
de sauver le pays du fléau de la guerre civile.
Les nations, sans doute, ne meurent pas, mais les peuples s’affaiblissent par les
dissensions intestines.
Jamais la France n’a eu plus besoin de toute sa grandeur et de toutes ses forces.
Dans cette situation, le devoir est tout tracé, et il est d’une simplicité qui sera
facilement comprise ; il s’adresse au courage et à l’honneur de tous.
La couronne de Juillet repose sur la tête d’un enfant et d’une femme.
Je fais un appel solennel... (Mme la duchesse d’Orléans se lève et fait signe
qu’elle vent parler.—Les personnes qui l’entourent l’engagent à se rasseoir.)
m. o. barrot : C’est au nom de la liberté politique de mon pays, de la néces-
sité du maintien de l’ordre, de l’union, de l’accord, dans des circonstances aussi
difficiles, que je demande à mon pays de se rallier à cette double représentation
de Juillet.
Quant à moi, je serai heureux de consacrer toute mon existence et toutes mes
facultés à faire triompher cette cause qui est celle de la liberté de mon pays.
Est-ce que, par hasard, on voudrait revenir sur les grandes questions décidées
par la révolution da Juillet?
Les circonstances sont difficiles ; mais dans ce pays il y a de tels élémens d’or-
dre, de bon sens, qu’il suffit de leur faire appel pour que toute la population se
lève autour de cet étendard.
Il y a là tous les moyens d’assurer toutes les libertés auxquelles le pays peut
justement prétendre, de les concilier avec le maintien de l’ordre, de rallier entre
toutes les forces vives de ce pays.
Ce devoir est simple, je le répète ; vous êtes pressés par l’honneur, par le vé-
ritable intérêt du pays. Si nous ne savons pas le remplir avec fermeté , avec per-
sévérance, avec courage, je ne sais quelles seront les conséquences ; mais soyez
convaincus, comme je le disais en commençant, celui qui a le courage de prendre,
à cette heure, la responsabilité de la guerre civile, est coupable au premier chef,
coupable envers son pays , envers la paix du monde entier. Quant à moi, cette
responsabilité, je ne voudrais pas la prendre.
La régence de Mme la duchesse d’Orléans ;
Un ministère choisi dans les opinions les plus éprouvées.
Et puis l’appel au pays, pour que son opinion se prononce en toute liberté,
avec calme, se prononce au nom du pays et de la liberté.
Voilà mon opinion. Je ne saurais prendre la responsabilité d’une autre situa-
tion.
(Ce discours a été écouté avec la plus vive impatience , et parfois interrompu
par de vives réclamations.)
m. de la rochejaquelein : Personne plus que moi ne respecte et ne sent
plus profondément ce qu’il y a de touchant dans certaines situations : je n’en suis
pas aujourd’hui à ma première épreuve.
Je réponds à M. Odilon Barrot que je n’ai pas la folle présomption de venir
ici élever une prétention contre ses propres prétentions ; mais je crois qu’il n’a
pas servi les véritables intérêts du pays.
Il appartient peut-être plus à ceux qui ont servi long-temps les rois de parler
du peuple et de la liberté. Eh bien ! Messieurs, vous n’êtes plus rien.
une voix : A l’ordre !
m. le président : Je rappelle l’orateur à l’ordre. (Marques générales d’éton-
nement. On remarque alors que le président est couvert de son chapeau et on
le lui fait ôter.)
En ce moment un grand nombre de citoyens dont plusieurs portent des dra-
peaux tricolores et sont armés de fusils ou de sabres, pénètrent dans la salle. Un
officier de garde nationale s’élance à la tribune et y place un vaste drapeau tri-
colore.
MM. Ledru-Rollin et Lamartine demandent la parole.—Elle est accordée à M.
Ledru-Rollin.
La plus vite agitation règne dans la salle : cette circonstance ne nous permet
pas de suivre complètement ses paroles.
Voici les parties principales que nous pouvons en saisir.
m. ledru-rollin : Je viens protester, au nom de pays, contre l’espèce de
gouvernement qu’on est venu proposer à cette tribune.
En 1842, lors de la discussion de la loi de régence, j’ai été le seul ici à déclarer
qu’elle ne pouvait pas être faite sans un appel au pays.
On vient tout à l’heure de vous parler de 89. Eh bien ! moi, je rappelle la cons-
titution de 91, et dans la constitution de 91 un article déclare formellement que
l’assemblée constituante... remarquez constituante, avec ses pouvoirs spé-
ciaux n’avait cependant pas la droit de faire une loi de régence sans un appel au
pays.
Or, qu’arrive-t-il ? Depuis deux jours nous nous battons pour le droit contre la
force, et vous prétendez que ce gouvernement éphémère existe.
Nous prétendons qu’il faut un appel au pays, un appel à la nation, pour faire
une loi de régence, et qu’on ne peut l’implanter comme on vient d’essayer de le
faire d’une manière si singulière et si usurpatrice.
Cet expédient n’a pas de racines dans le pays : au nom du droit, je proteste
contre cette usurpation des droits du peuple.
Vous parlez d’effusion de sang ; ah ! je suis sensible à ce mal, moi qui l’ai vu
couler de prés…
une voix : Trois mille sont morts.
m. ledru-rollin : Laissez-moi donc vous parler des droits de ce peuple qui
se bat en ce moment, et qui se battra ce soir encore si vous lui résistez.
En 1815, Napoléon, pour la régence du roi de Rome, crut devoir faire appel
au pays, et vous ne voudriez pas le faire aujourd’hui !
Le pays est tout et on ne peut rien faire sans lui. Je demande donc, en résu-
mé, un gouvernement provisoire at l’appel immédiat à une convention.
m. de lamartine : Messieurs, je partage le double sentiment qui agite cette
assemblée, en voyant le spectacle touchant d’une princesse malheureuse quittant
un palais désert et venant se placer au milieu de cette assemblée.
En ce moment, nous avons le spectacle imposant de l’égalité, et cette égalité
nous impose le devoir de reconnaître la hiérarchie des hommes appelés, non dé-
finitivement... (l’orateur insiste sur ces mots qui sont applaudis), à donner le
premier signal du rétablissement de la concorde dans le pays.
Si j’ai partagé l’émotion qui vous a tous saisis, en voyant s’asseoir au milieu
de nous une mère infortunée, j’ai aussi, j’ai surtout partagé l’émotion de cette
population valeureuse qui a combattu et renversé un gouvernement parjure
pour rétablir sur une base désormais inébranlable l’empire de l’ordre et de la li-
berté.
Quel que soit le gouvernement désigné, ce qui importe avant tout au peuple, et
à tous ceux qui ont si glorieusement versé leur sang pour la liberté, c’est qu’on
aille chercher dans le fond même du pays le sentiment national.
Voilà ce qu’il y a à faire au lieu de recourir à ces surprises du cœur, pour en
obtenir une de ces solutions qui ne laissent rien de solide après elle.
Je viens donc appuyer de toutes mes forces une proposition que je voulais por-
ter le premier à la tribune. Je demande un gouvernement provisoire qui étanche
le sang qui coule, qui arrête la guerre civile, qui suspende ce malentendu terri-
ble qui existe au milieu de nous depuis quelques années.
Il faut le constituer à l’instant an nom de la liberté, au nom de l’ordre pu-
blic, au nom du sang qui coule, je le répète, au nom du peuple qui a besoin de
son travail, et à qui trois jours de glorieux et douloureux combats ont enlevé
peut-être les ressources de son existence ; il faut enfin constituer un gouvernement
qui ne préjuge rien ni sur les sympathies publiques, ni sur le droit du pays.
Le gouvernement provisoire aura pour première et grande mission de rétablir
la paix publique, de préparer à l’instant les mesures pour convoquer le pays
tout entier, la garde nationale, enfin quiconque a le droit de citoyen.
A ce moment un assez grand nombre de citoyens portant des fusils pénètrent
dans une tribune haute. M. le président déclare au milieu du bruit la séance le-
vée et dissoute.
La duchesse d’Orléans et les princes gagnent les couloirs et sortent de la salle.
m. dupont (de l’Eure) est conduit au fauteuil par M. Carnot au milieu d’ac-
clamations.
m. carnot, dominant le bruit : M. Dupont (de l’Eure) prend la présidence
de l’assemblée.
En ce moment, la tribune des sténographes est envahie par un grand nombre
de personnes armées ; tout travail devient impossible.
Au milieu du tumulte, sont proclamés par M. Dupont (de l’Eure), et en son
nom par quelques citoyens qui l’assistent, les noms des membres du gouverne-
ment provisoire. La liste de ces noms circule dans toute la salle. M. Dupont (de
l’Eure), accompagné d’une foule innombrable qui fait entendre les plus vives ac-
clamations, se rend à l’Hôtel-de-Ville.