fermer

f°164 - Recto Double | f°164 - Verso Double << Cote g226 - vol. 2 - f°165 - Recto Double -  >> f°165 - Verso Double | f°166 - Recto Double

La version PDF n'est pas encore disponible.

Transcription

Ernest Legouvé socialiste

 

Mercredi 26 avril 1848.

 

LA COMMUNE DE PARIS

JOURNAL RÉVOLUTIONNAIRE

 

MONITEUR DES CLUBS, DES CORPORATIONS D’OUVRIERS ET DE L’ARMÉE.

 

liberté, égalité, fraternité                                     solidarité, alliance des peuples

Agriculture, Industrie.                                                        Arts, Sciences.

                                                                                                                                       

 

liste de nos rédacteurs

 

George Sand.

Eugene Sue.

Alphonse Esquires.

Cahaigne.

Sobrier.

Ernest Legouvé.

Peyret.

P. Delavigne.

Honneau.

Villebranche.

                         

 

 

 

La Commune de Paris est sortie des barricades.

Les doigts noircis de poudre, nous avons écrit en

quelque sorte le premier numéro sur un tas de

pavés. Notre journal a jeté le cri de la révolution.

Ce cri a été entendu ; mais nous voulons que notre

voix ait aujourd’hui plus de force et de solennité.

Le fusil d’une main, la plume de l’autre, nous fe-

ront face à la lutte et à la discussion sérieuse. Se

rallie à notre bannière qui voudra, l’attaque qui

l’ose !

 

                                       

 

Paris, 25 avril

 

DU SENTIMENT RÉVOLUTIONNAIRE.

 

Dire que la situation est grave et troublée, c’est

exprimer une idée banale par son évidence même.

Les partis, ou si l’on veut, les intérêts se regar-

dent avec défiance. On ne peut pas dire que l’ave-

nir soit gros d’orage, mais il est plein de ténèbres.

Dans l’enivrement de la victoire, il nous était per-

mis de fermer les yeux aux périls du lendemain ;

aujourd’hui nous serions coupables de ne point

envisager sérieusement l’état des esprits. Nous

avons glorieusement détruit ; il s’agit maintenant

d’éditer.

Depuis quelques semaines, grâce à la magnani-

mité du peuple, que ses ennemis feignent de pren-

dre pour de la faiblesse, la réaction éclate en vio-

lence. Le peuple est calme, car il sent toute sa for-

ce. Du jour où il est rentré dans l’exercice de son

droit éternel, il a compris que souveraineté oblige.

En regard du droit il a posé le devoir. Qui dit li-

bre, dit responsable. Cette responsabilité a marqué

tous ses actes du sceau de la conscience publique.

Au reste, la réaction ne nous effraye pas ; nous la

jugeons odieuse, mais nous la croyons impuissan-

te. Les fleuves et les idées ne reculent jamais. Le

mouvement perpétuel, que des rêveurs cherchent

depuis des siècles dans les illusions de leur cer-

veau malade, existe : regardez dans le peuple.

Quant à ceux qui prétendent user l’enthousiasme

et le dévouement des masses, qui spéculent sur l’é-

touffement des nobles instincts révolutionnaires,

nous n’avons qu’un terme pour flétrir leur infâme

conduite: ils se rendent coupables de lésé-humani-

té. Peu s’en faut que dans leur ardeur impie d’a-

néantissement et de compression, ils n’attendent

encore plus haut que l’humanité même : car le

peuple en masse, c’est la sagesse de Dieu!

Le mouvement social n’est pas encore détermi-

né. Soumis, dans ces derniers temps, aux oscilla-

tions de la force révolutionnaire, il se cherche

pour ainsi dire lui-même. La crise matérielle

contribue à troubler la recherche morale des prin-

cipes sur lesquels la société renouvelée devra bien-

tôt s’établir. La tempête des intérêts obscurcit le

soleil des idées.

Pour nous, la Révolution n’est point seulement

un fait, c’est un dogme, et de plus un dogme uni-

versel. Elle ne réside point dans tel homme ni

dans telle secte, elle est dans la masse qui pense

et qui agit. L’infaillibilité de l’Église a passé au

humain. Ce que la nation croit, c’est la vé-

rité; ce que la nation veut, c’est la justice. Vérité

et justice relatives sans doute, car la loi du pro-

grès n’est que la loi des révélations successives.

Ces révélations se dégagent par secousses dans les

temps de révolution ; elles rayonnent par la lumiè-

re dans les démocraties calmes et paisibles.

L’instinct électrique des masses a répondu déjà

plusieurs fois dans notre ville aux craintes et aux

alarmes justement fondées sur l’avenir de la Ré-

publique. Paris entend maintenir la Révolution,

pleine, entière, énergique. A ses yeux cette Révo-

lution n’est pas faite : elle commence. Qu’avons-

nous détruit en février? L’obstacle aux réformes

sociales, rien de moins, mais rien de plus. Le trône

barrait le passage des idées nouvelles et généreu-

ses, nous l’avons renversé, c’est bien ; mais au-

jourd’hui que le passage est libre, il faut que ces

idées entrent.

Tout le monde, nous le savons, n’entend pas

ainsi la Révolution de 1848. Il en est pour lesquels

le mouvement s’arrête à telle ou telle limite ; le

peuple ne comprend point ainsi son œuvre. Pour

lui et pour nous (car nous sommes du peuple), la

Révolution est infinie comme l’action de Dieu,

dont elle n’est que le reflet dans l’humanité. Nous

sommes très-éloignés sans doute de prévoir toutes

les conséquences de la victoire populaire. Sur

beaucoup de points relatifs aux réformes sociales

notre vue est encore confuse et troublée; mais

c’est la condition inévitable de toute nation en mal

de renaissance que de traverser une période de

ténèbres et de tâtonnements. Ce qu’il nous faut

surtout pour nous soutenir dans cette épreuve, c’est

la foi, une foi révolutionnaire, qui défie toutes les

résistances et qui épuise tous les sacrifices.

Ne repoussons aucune des doctrines qui s’an-

noncent comme en possession de l’avenir. Elles

contiennent peut-être des germes qui, mûris et

fécondés par le bon sens des masses, produiront

un jour des fruits. Ces fruits, nous serons tous ap-

pelés à les recueillir. Du jour où l’on voudrait re-

fouler par la force brutale ou par l’ostracisme une

des sectes dont nous ne partageons pas entière-

ment les doctrines, tous les hommes de cœur les

couvriraient à l’instant même de leur protection et

de leur justice.

Nous plaignons leur isolement : se séparer du

peuple, c’est se séparer de la vie. Quant à ceux qui

comme nous ont pour religion de communier sans

cesse à l’esprit de la Révolution, rendu sensible par

l’opinion des masses, ils croient que dans toutes

ces doctrines il y a des semences de vérité et des

hommes de cœur. Les systèmes sont nécessaires à

la marche de l’esprit humain; il ne faut ni s’en ef-

frayer ni s’en plaindre : c’est la nature même du

développement social qui le veut ainsi. L’excentri-

cité des sectaires représente quelquefois l’initiati-

ve. Leurs doctrines n’ont d’existence sérieuse que

du jour où l’entendement humain a transformé en

lui la substance même de ces doctrines en se les

assimilant.

Il faut avoir le courage de l’avouer : le socialis-

me n’est point encore une science, c’est un senti-

ment. Nous ne sommes arrivés jusqu’ici qu’à des

formules divergentes, souvent même contradictoi-

res. Ce n’est point là un motif de découragement

ni de défaveur pour les idées sociales, au contrai-

re. L’histoire nous dit qu’il en a été de même pour

toutes les transformations de l’esprit humain : le

cœur a été atteint avant la tête. Qu’était le christia-

nisme à son origine? Un vague sentiment reli-

gieux à demi enveloppé dans les langes, ou si l’on

aime mieux dans le linceul du judaïsme. Il a fallu

plusieurs siècles pour qu’une doctrine, une scien-

ce, une organisation, sortissent de ce faible germe

qui avait été semé dans un coin de la terre.

Il en sera de même de l’idée sociale. Elle a été

déposée dans le sein ému des populations par des

siècles d’épreuves et de souffrances : elle croîtra,

soyez-en sûrs; mais elle croîtra comme poussent

les grands arbres séculaires, par l’action inces-

sante de l’esprit humain. Nul ne peut dire : cette

idée est à moi ! Non, cette idée est à tout le monde.

Elle se développera par la sève qu’elle tire des forces

morales et intellectuelles de la nation. Nous y

contribuerons tous dans la mesure de nos moyens

et de notre bonne volonté.

Gardons-nous donc de cette idolâtrie dangereu-

se qui personnifie la révolution dans un hom-

me ou dans un système exclusif : la vérité n’est

point avec Paul ni avec Jean, la vérité est avec

le peuple ; c’est toujours là que nous la cher-

cherons. Socialistes d’esprit et de cœur, nous

croyons que la République est une porte ouverte

à toutes les améliorations et à toutes les nouveau-

tés généreuses : leur fermer l’entrée, ce serait l’ou-

vrir à la réaction. Songeons d’ailleurs qu’il y a ici

un engagement pris, un engagement d’honneur :

on a promis d’améliorer la condition morale et

matérielle de la masse ouvrière, c’est-à-dire de la

nation entière, car tout le monde aujourd’hui est

travailleur ou doit le devenir. Trahir cet engage-

ment, ce serait faire banqueroute à l’humanité.

Le Gouvernement provisoire ne peut choisir

qu’entre ces deux situations : ou marcher ou être

poussé. Celui qui marche garde la liberté de ses

mouvements et a, par cela même, le moyen d’évi-

ter les chutes ; celui qui est poussé court risque

de perdre la tête et de tomber fatalement dans l’a-

bîme. Le peuple, sachez-le bien, n’est point dispo-

sé à s’endormir dans le repos de la misère : il at-

tend, le glaive de la faim dans la poitrine, il attend

toujours ; mais il sait que quand on a pour soi la

justice, on a la force.

Ce qu’on veut bien nommer la crise sociale n’est

point, comme quelques-uns se l’imaginent, la con-

séquence passagère d’une révolution récente; non,

c’est un état de choses ancien et profond qui se révèle

à la lumière. On avait jeté sur nos misères et nos

plaies le voile des illusions; aujourd’hui ce voile

est déchiré. Pâlir, s’effrayer, reculer même devant

cette sombre évocation de la vérité douloureuse, ce

n’est point de la politique, c’est de la faiblesse.

L’indifférence est le crime des cours lâches; la

philanthropie maintenant est un masque usé : il

faut une main ferme et courageuse qui touche ré-

solument à la difficulté même, c’eat-à-dire à la

question du capital et du travail. L’Assemblée na-

tionale va s’ouvrir : à elle de trancher le nœud du

problème. Mais d’ici là, veillons pour que l’on n’a-

gisse point sur elle par les influences de la peur.

Le danger n’est point dans le progrès, il est dans

la réaction. Tout ce qui s’oppose dans ce moment-

ci au renouvellement de nos institutions ne fait

que prolonger le désordre et les angoisses d’une

société qui se bouleverse. Aider à la révolution so-

ciale, c’est concourir à la volonté de Celui qui pa-

cifie les éléments eux-mêmes par leurs transfor-

mations éternelles.

Le comité de rédaction,

Alph. Esquiros.

Sobrier.

Delavigne.

                                  

 

Nous donnons aujourd’hui une lettre que nous

a écrite il y a quelque temps notre ami et colla-

borateur le citoyen Eugène Sue.

 

DE LA CRÉATION DE BATAILLONS DE

TRAVAILLEURS VOLONTAIRES.

 

« Le rachat des chemins de fer par l’Etat parait

une mesure adoptée ; d’immenses travaux sur tou-

tes les lignes vont être nécessairement entrepris.

Les ateliers nationaux ouverts à Paris n’ont en

grande partie pour but que des déblais et des rem-

blais inutiles. Vous le savez comme moi, le travail-

leur intelligent et patriote accomplit sa tâche ponc-

tuellement, mais avec une sorte de tristesse : il a

la conscience que son œuvre est stérile ; sa fierté

républicaine se chagrine de ce que son juste sa-

laire ne lui soit point acquis par des travaux utiles

à la nation. — Ne pourrait-on pas (après les élec-

tions, bien entendu) ouvrir des rôles d’engagements

volontaires pour lu travailleurs célibataires, consti-

tués par compagnies réunies en bataillons? Les

grades seraient électifs, sauf peut-être ceux des

[mot manquant] de bataillon, confiés soit à des élèves des

écoles centrales, des mines ou de l’école polytechni-

que.

Ces enrôlements volontaires et pour une du-

rée déterminée, pareillement organisés si cela était

nécessaire dans toutes les grandes villes de Fran-

ce, permettraient de diriger les travailleurs sur

tous les points où leur concours serait utile pour

l’achèvement des chemins de fer.

« Il y aurait, ce me semble, plusieurs avantages

dans ce projet bien informe sans doute :

« 1e Substituer un travail productif à un travail

improductif, et conséquemment relever encore le

travailleur à ses propres yeux ;

« 2e Etablir ainsi parmi les populations éloignées

une sorte de propagande énergiquement républi-

caine, grâce au contact moral des travailleurs des

villes, généralement plus avancés par le fait de

leur résidence au milieu des grand» centres d’i-

dées;

« 3e Améliorer beaucoup la condition matérielle

du travailleur par les puissantes ressources de la

vie en commun, témoin le soldat, qui avec dix ou

douze sous par jour vit beaucoup mieux que les

trois quarts des ouvriers de France ;

« 4e Epargne facile et presque inévitable pour le

travailleur, la vie en commun lui permettant de ne

dépenser que la moitié ou tout au plus les deux

tiers de son salaire.

« A ce projet, très-incomplet, je le répète, l’on

fera probablement des objections.

« Ne sera-ce pas, dira-t-on, déposséder des élé-

ments de travail les populations riveraines des

chemins de fer remis en voie d’exécution ?

A cela l’on peut répondre :

« 1e Chacun sait l’innombrable quantité de tra-

vailleurs étrangers que la construction de deux ou

trois lignes de chemins de fer avait attirés en Fran-

ce. Les étrangers, sachant la place prise, n’émigre-

raient plus chez nous.

« 2e Personne n’ignore que dans les contrées tra-

versées par des chemins de fer, leurs travaux, pen-

dant les années précédentes, absorbaient telle-

ment les populations rurales que dans beaucoup

de localités les bras ont manqué à la moisson, à la

fenaison et aux vendanges. Or, cette année, jusqu’à

présent du moins et si j’en juge par notre départe-

ment, jamais de mémoire de laboureur et de vigne-

ron, jamais les récoltes ne se sont plus magnifique-

ment annoncées. — Vous le voyez, Dieu protège la

République. Ne serait-il donc pas pénible de voir

les bras manquer à de si riches moissons ?

« On objectera peut-être encore la difficulté de

loger temporairement les bataillons des travailleurs

volontaires. — Mais l’Etat n’a-t-il pas cent fois fait

des dépenses stériles pour des camps de plaisance

et de parade? Pourquoi, pendant les quatre ou cinq

mois de belle saison où nous entrons, n’établirait-

on pas des campements de travailleurs dans les

localités où il ne serait pas possible de les loger ? —

Deux régiments ont ainsi campé durant plusieurs

années près de Saint-Denis, et la santé des soldats

s’est conservée excellente. Mais il ne s’agirait ici

que de passer l’été et les premiers mois du l’au-

tomne dans des» barraques solides, aérées, placées

dans une exposition salubre et riante. Et d’ailleurs

le mouvement des troupes envoyées aux frontières

doit laisser beaucoup de casernes vacantes.

« Une blouse uniforme, un képi pourrait être la

grande tenue des travailleurs volontaires lorsqu’ils

se rendraient à leurs revues ou réunions hebdo-

madaires, tambours et clairons en tête. Le drapeau

de l’industrie ne flotterait pas moins glorieusement

au milieu de ces bataillons de travailleurs que le

drapeau de guerre au milieu des bataillons de sol-

dats : n’est-ce pas toujours le drapeau de la France

républicaine!

« Eugène Sue.

« 13 avril. Aux Bordes (Loiret). »

                                            

 

IL FAUT ETRE RÉVOLUTIONNAIRE OU PÉRIR.

 

Par les mesures révolutionnaires qu’il vient de

prendre, le Gouvernement provisoire a montré

qu’il avait l’intelligence de la situation. Toutefois

il est loin d’avoir déduit toutes les conséquences

du 24 février. Le mouvement social qui s’opère au-

jourd’hui d’une manière irrésistible, nous ne vou-

lons pas le précipiter parce que nous sommes sûrs

de lui. Nous combattons pour le droit et la justi-

ce, et nous avons la confiance des forts. On peut

travestir nos intentions, on peut nous prêter des

projets chimériques : les hommes de sens et de ju-

gement, le peuple, dont nous détendons les inte-

rêts, ne confondra jamais les révolutionnaires avec

les anarchistes. Le moment n’est pas loin où il ma-

nifestera sa volonté, et nous ne craignons pas de

nous trouver en désaccord avec elle. Que les es-

prits impatients se modèrent donc ; nous marchons

à une réalisation inévitable et magnifique. N’al-

lons pas la compromettre par des tentatives préma-

turées. Ceux qui voudraient hâter par la violence

l’accomplissement des grandes améliorations que

réclame notre époque attesteraient eux-mêmes leur