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Cote : g226_4_f_065__v_do__ | ID_folio : 1143 | ID_Transcription : 3115 | ID_Image : 3428
JOURNAL DE ROUEN DU JEUDI 17 DÉCEMBRE 1868
La tempĂŞte du 6 au 7 du courant a occa-
sionné des dégâts à Millebosc. Un énorme
tilleul, plusieurs fois centenaire, qui se
trouvait dans l’enceinte du cimetière de
cette commune, a été déraciné et est tom-
bé sur la toiture de l’église qu’il a effon-
drée
Les frais occasionnés par la chute de cet
arbre sont évalués de 1,000 à 1,200 fr. La
couverture de l’église venait d’être res-
taurée.

A l’occasion de la mort de Mme Grout,
d’Envermeu, mère de M. Jules Grout, con-
seiller général, les membres de cette fa-
mille ont versé pour les pauvres une som-
me de 200 fr. dans la caisse du bureau de
bienfaisance d’Envermeu.

Samedi, la péniche des douanes de Quil-
lebeuf a retiré de la Seine, entre Vatteville
et Vieux-Port, le cadavre du nommé Jean-
François Lether, marin à bord de l’un des
bateaux affectés aux travaux de l’endigue-
ment de la Seine. Lether était tombé dans
le fleuve le 9 novembre, en exécutant une
manœuvre.
Les hommes qui montaient la péniche
l’ont déposé à Vieux-Port, où il a des pa-
rents qui l’ont fait inhumer.

CHRONIQUE JUDICIAIRE .
TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BORDEAUX .
Présidence de M. Manières.
Audience du 14 décembre .
AFFAIRE DES P P. JÉSUITES de L'ÉCOLE DE TIVOLI —
LES P P. DE LA JUDIE ET COMMIRE, PRÉFET et SOUS-
PRÉFET DES ÉTUDES, PRÉVENUS DE COUPS ET
BLESSURES PORTÉS AU JEUNE JOSEPH SÉGÉRAL. —
Le P. ROUX, RECTEUR, CITÉ COMME CIVILEMENT
RESPONSABLE.
Cette affaire a tellement surexcité l’opi-
nion publique que, dès dix heures du ma-
tin, les abords du palais ont été assiégés
par la foule. Lorsque, Ă  midi un quart, le
tribunal ouvre l’audience, la salle est enva-
hie à ce point, que, ni derrière les sièges
des magistrats, ni dans l’enceinte réservée
d’ordinaire au témoins et au barreau, il ne
reste place mĂŞme pour un auditeur debout.
Des ecclésiastiques, des officiers, des fonc
tionnaires, entre autres M. l’inspecteur de
l’Académie, nombre de magistrats, d’avo-
cats et d’avoués, M. le commissaire central,
sont aux premiers rangs. Au dehors, la
masse de ceux qui n’ont pu entrer envahit
les escaliers qui mènent aux tribunes, et
quelques-uns escaladent les fenĂŞtres, sur
l’appui desquelles ils s’établissent. Il faut
un moment pour obtenir un demi-silence.
Enfin, à midi et demi, la cause est appelée.
Les prévenus sont présents et assistés de
Me de Sèze, Mes  Emile Durier, du barreau
de Paris, et Bernard, du barreau de Bor-
deaux, assistent la partie civile. M. le sub-
stitut Bourgeois occupe le siège du minis-
tère public.
Le premier témoin entendu est le jeune
Joseph Ségéral, âgé de treize ans et demi.
Il dépose :
J’étais élève de l’école des P P. Jésuites de Ti-
voli. Le 22 novembre dernier, à l’étude du matin,
j’eux une querelle avec un de mes voisins, le
jeune de Larrard. Comme cette querelle attira
l’attention du surveillant et que j’avais donné un
coup à mon camarade, je fus réprimandé. A l’é-
tude de onze heures, la querelle reprit. Il s’agis-
sait d’une somme de 75 centimes que de Larrard
me devait, et que je lui réclamais. Il ne voulait
me donner que 50 centimes, me demandant dé-
lai pour le reste. Dans notre dispute, je relevai
brusquement le coude, qui le frappa au nez et le
fit saigner. De Larrard me rendit le coup, et le
surveillant intervint pour nous corriger tous les
deux manuellement. Presque aussitôt après, je
fus mis au cachot, où je restais jusqu’à dix heu-
res du soir sans avoir reçu que du pain sec à
quatre heures et huit heures, bien que je n’eusse
rien pris depuis le matin sept heures et demi, et
qu’à deux heures j’eusse demandé de la nourri-
ture et de l’eau. Le cachot où j’étais ne prenait
jour que par une fenĂŞtre qui Ă©claire le corridor
où il touche. Le sol est bitumé. Il n’y avait au-
cun siège, aucun meuble, rien qu’un vase de
nuit.
A dix heures, le P. Commire, sous-préfet des
études, vint me trouver. Il me dit d’ôter mon
pantalon. Je voulus obéir, mais mes souliers
m’en empêchaient. Le Père me dit alors d’ôter
aussi mes souliers. Lorsque cela fut fait, il re-
troussa ma chemise et m’administra plusieurs
coups de discipline avec une grande violence.
Exaspéré par la douleur, j’essayai de lui résister,
et je lui échappai en me réfugiant dans le corri-
dor voisin, et de lĂ  dans la chambre Ă  coucher
du P. de la Judie, préfet des études, que je trou-
vai lisant. Ce père me remit entre les mains du
père Commire ; je fus jeté sur le lit, le P. Com-
mire Ă©touffait mes cris, soit en me fermant la
bouche, soit en me pressant contre le matelas.
En même temps, il me fustigeait très fort avec
sa même discipline. Le P. Poitrasson était pré-
sent. Quand le P. Commire eut achevé la correc-
tion à son gré, il me laissa aller et je rejoignis
mon dortoir, oĂą je me couchait. Le lendemain,
je dus reprendre les exercices ordinaires de la
maison. J’avais cependant la figure, tous les mem-
bres, mais surtout une fesse et les cuisses, extrĂŞ-
mement endoloris. Quelques jours après, ma mè-
re vint me voir au parloir, sut ce qui m’était ar-
rivé, et mon père me fit sortir de la maison.
D. Lorsque vous avez raconté à vos camarades
la correction qui vous avait été infligée, que vous
dirent quelques-uns d’entre eux ? — R. Qu’ils en
avaient reçu autant dans d’autres occasions. Je
citerai de Connat, de Montfort et de Longat.
2e témoin. — Emile DÉRANGES, médecin asser-
menté près le tribunal, a examiné le jeune Sé-
géral après sa sortie de l’école de Tivoli, et une
seconde fois, dix-sept jours après les coups reçus.
Nous avons reproduit textuellement le premier
rapport du docteur. Le second constate que les
sévices ne laissent plus de douleur bien sensible,
mais que la trace en est encore apparente.
Sur la demande de M. l’avocat impérial, deux
pièces à conviction ont été apportées, la chemise
qu’avait le jeune Ségéral dans la journée du 22
novembre, et la discipline. La chemise est déchi-
rée aux poignets par suite de la lutte de l’enfant
avec le P. Commire ; elle porte quelques petites
taches de sang. La discipline est une réunion de
cordes solidement tressées, qui se terminent par
plusieurs brins à nœuds. Le jeune Ségéral re-
connait que c’est avec cet instrument qu’il a dû
être frappé.
3e témoin. — DE CONNAT, quatorze ans et demi,
élève de l’école des jésuites à Tivoli : le 23 no-
vembre, pour une faute commise du réfectoire,
je fus mis au cachot vers les sept heures et de-
mie du matin. J’y restai jusqu’à huit heures et
demie du soir sans manger, et je reçus une cor-
rection du P. Commire.
D. Votre déposition écrite est beaucoup plus
explicite. Vous y déclarez que de votre cachot
vous avez souvent réclamé des aliments, qui
vous ont été refusés ; enfin, et surtout, que le
soir le P. Commire vint dans votre cellule et
vous dit : « je suis l’exécuteur : je n’ai contre
vous aucun motif de haine ; mais il faut que je
vous fustige. » Vous ajoutez qu’alors, sur votre
refus de vous déshabiller, vous reçûtes des coups
de cravache si vivement administrés, que votre
pantalon en fut déchiré. Est-ce vrai, cela ? — R.
C’est un peu exagéré. Ainsi les déchirures de
mon pantalon ont pu ĂŞtre faites par des clous
d’une caisse qu’il y avait dans le cachot, et sur
laquelle je m’agitais beaucoup.
D. Mais le reste est-il vrai ? Est-il vrai que vous
êtes resté tout le jour sans nourriture, et que le
P. Commire vous a dit : « Je suis l’exécuteur. »
— R. Oui, il est vrai que je n’ai pas mangé ;
mais je ne sais trop si le P. Commire m’a dit
les paroles que je lui ai attribuées.
Me E. DURIER : Je demande au témoin si depuis
qu’il a été entendu dans l’instruction, on l’a prié
d’atténuer sa première déposition — R. On m’a
laissé libre de dire ce que je voudrais ». (Hilarité
et mouvement)
4e témoin. — Léon DE MONFORT, treize ans et
et demi, élève de l’école des P P. Jésuites à Tivoli :
Un jour de l’année dernière, comme je venais de
commettre une faute grave, après en avoir com-
mis un certain nombre depuis très peu de temps,
je demandai au P. Commire de me châtier en
m’administrant des coups de discipline. Il a fait
ce que je lui demandais, il me les a donnés.
(Hilarité.)
D. Mon enfant, si ce que vous dites lĂ  est vrai,
il faut avouer que vous êtes l’écolier le plus ex-
traordinaire, le plus singulier, le plus excentri-
que, non seulement de Bordeaux, mais encore
peut-être du monde entier. Comment ! c’est vous
qui demandez à votre maître de vous adminis-
trer le fouet ! c’est vous qui priez qu’on veuille
bien vous fouetter ! — R. Oui, monsieur.
D. Et vous avez reçu, avez-vous dit dans l’in-
struction, soixante coups de fouet ? — R. Oh !
ceci est bien sans doute un peu exagéré. Je ne
pense pas en avoir reçu autant.
D. Enfin, quel que soit le nombre, cela vous a-
t-il fait du mal ? — R. Non monsieur.
D. Tout au contraire, sans doute ; vous en
avez été très satisfait ? — R. Oui, monsieur.
D. Je répète que vous êtes un prodigieux éco-
lier ! Dans l’instruction, votre déposition, légère-
ment différente de celle que vous venez de faire,
quoique encore bien Ă©tonnante serait cependant
plus croyable. Vous y disiez que le P. Commire
vous ayant offert de vous administrer la disci-
pline, vous y aviez consenti. Aujourd’hui, vous
renchérissez là-dessus. Ce n’est plus le père
Commire qui vous a offert, c’est vous qui avez
demandé. Je dois vous dire que votre première
version est conforme, et non pas celle d’aujour-
d’hui, à la déclaration du P. Commire. — R.
Monsieur le président, qui accepte demande !
(Mouvement très marqué dans l’auditoire)
M. Le PRÉSIDENT : Qui accepte, demande ! dites-
vous. C’est là, mon enfant, une singulière maxi-
me, et que ne vous a pas suggéré une connais-
sance loyale du sens des mots. A moins d’avoir
les notions perverties ou d’être le dernier de vo-
tre classe en synonymie, vous devez savoir
qu’accepter n’est pas du tout la même chose que
demander. Par conséquent, en disant l’un pour
l’autre, vous ne dites pas du tout la vérité.
5e témoin. — DE LOUGAT, douze ans et demi,
élève de l’école des P P. Jésuites de Tivoli : Je ne
sais rien, je n’ai rien à dire, sinon qu’en accusant
les Pères de m’avoir battu, comme je l’ai fait,
j’ai menti. Je me trouve très bien à Tivoli ; je
n’y ai jamais été maltraité ; les RR. PP. ont
toujours été trés bons pour moi.
M. Le PRÉSIDENT : Dans l’instruction, mon en-
fant, vous avez déposé ce qui suit : que vous
étiez dans la cour de récréation avec le jeune
Ségéral : que celui-ci vous raconta les sévices
dont il était l’objet le 22 novembre : qu’alors vous
lui dites avoir été fustigé vous-même peu de
temps auparavant, mais dans un autre cachot
et avec un martinet à manche, au lieu d’une
corde à nœuds. Cette déclaration de votre part
était corroborée par le témoignage de Ségéral,
qui rapportait votre conversation dans les mĂŞmes
termes. Aujourd’hui, vous prétendez que tout
cela est mensonge ; qu’au moins il est faux que
vous ayez jamais été battu. — R. Oui, monsieur
j’ai bien dit cela à Ségéral ; mais ce n’était pas
vrai.
D. Rien n’était vrai ? Ces détails, ces circon-
stances d’un autre cachot, d’un autre instru-
ment, de coups qui vous auraient laissé des tra-
ces aux jambes et aux reins pendant hait jours,
cette particularité, que vous étiez puni pour avoir
appelé un de vos professeurs asperge, tout cela
était de voire invention ? R. Oui, monsieur.
D. Et pourquoi aviez-vous menti, mon en-
fant ? Parce que le jour où l’on m’a interrogé
j’étais en colère, ayant été puni le matin.
D. Mais quand vous aviez confié à Ségéral
qu’on vous avait battu, vous n’étiez pas en co-
lère ? Pourquoi lui avez-vous fait cette histoire ?
— R. Une idée ! mais c’était faux, et la vérité
est que jamais on ne m’a battu.
Sixième témoin. — MAYDIEU, dix-huit ans, an-
cien élève de l’école des P P. jésuites de Tivoli :
Il y a cinq ans et demi environ, j’étais élève de
Tivoli. Un jour, pour une faute d’écolier, je fus
mis au cachot. Le soir venu, le sous-préfet d’a-
lors, qui n’était pas le P. Commire, et dont j’ai
oublié le nom, mais que je reconnaîtrais à mer-
veille si on le représentait, m’invita à le suivre
et me fit monter au quatrième étage de la ma-
son, au grenier. Là il me dit que j’allais rece-
voir une correction manuelle. Je le priai, je le
suppliai, mais en vain. Il me déshabilla de vive
force, puis, à son appel, un garçon arriva, le
visage dissimulé par une barbe postiche et un
masque d’escrime. Malgré mes plaintes, mes ins-
tances, mes cris, cet homme m’administra plu-
sieurs coups de bâton, jusqu’à ce que le père eût
dit que c’en était assez.
Septième témoin. — Rémy TRÉYÉRAN négo-
ciant à Bordeaux : Mon fils était, à l’école de
Tivoli, voisin de classe du jeune Ségéral, et
maintes fois il a eu Ă  se plaindre de ses bruta-
lités qui dépassaient de beaucoup des malices
d’écolier. Ainsi Ségéral prenait plaisir à fixer
sur le siège de mon fils des morceaux de plu-
mes d’acier qui lui entraient dans les chairs.
Mon fils en a été souvent blessé et il s’en est
plaint.
Huitième témoin. — Maurice de LARRARD,
douze ans, élève à l’école Tivoli : Le matin du
22 novembre, j’avais eu une première querelle à
l’étude avec mon voisin Ségéral. Il s’agissait
d’une petite dette qu’il me réclamait plus vite
que je ne devais la lui paver. Ségéral me donna
un coup de poing qui me fit saigner. A la seconde
étude, Ségéral recommença. Je saignai encore
du nez, et alors on l’emmena au cachot.
Neuvième témoin. — DE LONGRAT père, ancien
officier de marine, demeurant à Bordeaux : J’ai
mis mon fils en pension chez les Révérends Pè-
res jésuites de Tivoli, et je leur ai donné tous
les droits de correction sur lui Je ne crois pas
qu’ils l’aient jamais frappé. Mon fils ne me l’a
jamais dit Mais s’ils l’avaient fait, convaincu que
c’eût été pour son bien, je les en aurais remer-
ciés.
M. Le PRÉSIDENT : Témoin, que voulez-vous di-
re ? Admettez-vous donc que ce soit un bon mo-
yen d’éducation de corriger les enfants en les
frappant ? — R. Oui, monsieur, quand il y a
lieu.
M. Le PRÉSIDENT : Monsieur, un maître qui
frappe un enfant ne le corrige pas, il l’abrutit. Ne
pensez pas d’ailleurs que le père ait le droit de
battre son enfant. La loi interviendrait alors pour
protéger l’enfant et nous condamnons ici, au nom
de la loi, les pères qui abusent de leur autorité
et de leur force pour sévir cruellement contre un
être plus faible qu’eux. Vous n’aviez donc pu
déléguer aux P P. Jésuites un pouvoir que vous-
même n’avez pas. — R. Monsieur le président,
mon fils a l’imagination très vive ; il invente,
ment souvent. C’est une histoire particulière qu’il
faut redresser de bonne heure, et j’aime mieux
que mon fils soit fustigé à douze ans que s’il de-
vait ĂŞtre Ă  trente ans un malhonnĂŞte homme.
M. Le PRÉSIDENT : Mais admettriez-vous donc,
monsieur, qu’on eût agi envers votre fils comme
on l’a fait envers le jeune Ségéral ? Que l’on
eût déchiré sa chemise, étouffé ses cris et blessé
ses reins et ses cuisses ? — R. Oui, monsieur,
s’il l’avait mérité.
M. Le PRÉSIDENT : Allons, monsieur, vous vous
croyez encore à votre bord ! Ce sont là des trai-
tements que l’on emploie vis-à-vis des coolies ou
des mousses !
M. L'AVOCAT IMPÉRIAL : Non pas vis-à-vis des
mousses. La garcette est interdite.
M. Le PRÉSIDENT : Je vous répète, monsieur,
que ces moyens d’éducation ne sont pas plus ad-
mis par la loi que par la raison et la morale.
Ce n’est pas ainsi que l’on peut espérer former
l’intelligence et cœur des enfants. (Applaudis-
sements danss l’auditoire)
M. Le PRÉSIDENT : Je vous invite au silence,
messieurs, je ne cherche pas vos applaudisse-
ments. Toute marque d’approbation ou d’impro-
bation est ici une inconvenance. Et, pour moi,
j’ai seulement exprimé selon mon devoir de
président, et comme un bon père de famille,
comme un homme, les sentiments qui sont dans
la nature.
LE TÉMOIN : Je maintiens que j’aime mieux
voir mon fils corrigé à douze ans que malhonnête
homme Ă  trente. Et quand on a une confiance
absolue dans les maîtres, comme je l’ai dans les
RR. PP. Jésuites, on peut leur donner tous les
droits que l’on a soi-même.
10e TÉMOIN . — Mme DE LONGAT, demeurant à
Bordeaux : Je vois mon fils à l’école de Tivoli
au moins tous les huit jours, presque toujours
deux fois la semaine. S’il eût été frappé par les
RR. PP., je l’aurais su. Je suis donc certaine
qu’il a menti quand il l’a dit avoir été frappé, et
qu’aujourd’hui il dit la vérité en se rétractant.
D. Mais, madame, votre fils disait avoir été
frappé à un endroit qui ne se voit pas au parloir
Vous auriez pu ignorer cette correction qu’il au-
rait subie, et que, par un sentiment facile Ă 
comprendre, il vous aurait cachée — R. Mon-
sieur, mon fils me dit tout. Il ne m’a jamais dit
cela. C’est un enfant à imagination ardente. Je
suis persuadée qu’il a menti en accusant ses
maitres. D’ailleurs, ses maîtres l’auraient cor-
rigé…
M. LE PRÉSIDENT : Vous ne voulez assurément
pas dire madame, que si ses maîtres l’eussent
mis en sang, eussent déchiré sa chemise, étouffé
ses plaintes, vous auriez approuvé cela ? — R.
Non. monsieur ; mais…
M. LE PRÉSIDENT : Cela suffit madame, il n’y a
pas un cœur de mère qui put faire une autre ré-
ponse.
LE TÉMOIN : J’achève ma déposition, monsieur
le président, en déclarant que le jour où j’appris
l’aventure du jeune Ségéral, j’allai à l’école de
Tivoli voir mon fils. Je lui demandai s’il avait
quelques fois été frappé. Il me répondit que non.
11e TÉMOIN. — M. DE MONFORT père, demen-
rant à Narbonne : Je confirme la déposition faite
par mon fils dans l’instruction, parce que je ne
doute pas de sa sincérité. Mon fils est d’un tem-
pérament exceptionnel. Non seulement il est ca-
pable de réclamer une punition corporelle qu’il
croirait avoir méritée ; mais même je l’ai surpris
le corps ceint d’une discipline avec laquelle il se
fustigeait lui-mĂŞme quand il jugeait devoir le
faire.
M. LE PRÉSIDENT : Ceci, monsieur, passe toute
mesure. Si votre fils en est lĂ , je vous engage Ă 
le surveiller de très près, car ce sont là des actes
de folie.
LE TÉMOIN : J’ai été, monsieur, très affligé de
cette découverte. Cependant, j’ai dû vous faire
connaître la vérité. Le caractère de mon fils est
ainsi. J’ajoute que j’aurais désespéré de le culti-
ver moi-mĂŞme comme il convenait, et que je
sais un gré infini au R. P. Rous des soins qu’il
lui a prodigués, et qui ont obtenu des résultats
excellents. Je suis si reconnaissant à ce Père,
que, où il ira, je confierai sans hésiter et aveu-
glément mon fils à sa direction.
La liste des témoins est épuisée. M. le
président procède à l’interrogatoire des pré-
venus.
FRANÇOIS COMMIRE, âgé de trente-cinq ans, né à
Muret (Haute-Garonne), sous-préfet des études
à l’école de Tivoli.
D. Vous êtes prévenu d’avoir, le 22 novembre
dernier, porté des coups et fait des blessures au
jeune Joseph Ségéral, âgé de treize ans ? — R
Le cas n’est pas niable, monsieur le président.
D. Vous avez été cruel pour cet enfant.
Vous l’avez couvert de contusions Le matin, vous lui
avez tiré les cheveux en le menant au cachot ;
vous le laissez, de huit heures Ă  quarte heures,
sans boire ni manger ; à quatre heures, vous lui
donnez du pain sec ; à sept heures du soir, en-
core du pain sec ; et à dix heures, tout cela n’a
pas suffi, vous arrivez dans sa cellule, vous le faites
déshabiller, vous lui retroussez sa chemise,
vous le frappez à coups redoublés. Il vous
Ă©chappe, vous le poursuivez, vous le rejoignez,
le jetez sur un lit, et vous frappez encore, en
Ă©touffant ses plaintes, et lui fermant la bouche,
jusqu’à ce qu’enfin il vous échappe encore et ga-
gne son lit à travers l’obscurité. N’avez-vous
pas pensé que cet appareil, cette succession de
châtiments pourraient influer d’une façon désas-
treuse sur le cerveau de l’enfant, et qui sait,
peut-être le rendre fou ? N’est-ce pas assez de
la première punition ? — R. Monsieur le pré-
sident, la première punition eût pu suffire pour
une faute isolée. Mais il y avait des fautes nom-
breuses. Quant aux mauvais traitements, on les
a exagérés. La preuve que je ne tenais pas l’en-
fant bien fort, c’est qu’il m’a échappé, au mo-
ment où il avait reçu seulement quatre à cinq
coups. Ensuite, je ne l’ai pas bâillonné ; je lui ai
mis la main devant les lèvres pour l’empêcher
de crier. Enfin, il est bien certain que dans tout
ce qui s’est passé, je n’ai cédé à aucun senti-
ment de haine ou de colère personnelle, mais
je n’ai recherché que l’intérêt de l’enfant. Je
reconnais m’être trompé en recourant à ce
moyen ; je regrette d’avoir frappé plus et plus
fort que je n’aurais dû et voulu, car je voulais
moins donner à l’enfant une correction sensi-
ble qu’une correction humiliante ; mais j’ai agi
de bonne foi.
D. En frappait le jeune Ségéral, vous avez
obéi, n’est ce pas, à un ordre du P. de la Judie
et rempli un devoir de votre charge ? — R. Non,
monsieur Je n’avais pas reçu d’ordre du P. de
la Judie. J’ai infligé la correction après entente
avec ce Père, mais sans ordre de sa part.
D. Mais le P. de la Judie est votre supérieur,
il n’a donc pas à s’entendre avec vous. Il vous
donne des ordres que vous exécutez ? — R. Le
P. de la Judie est sans doute le préfet des étu-
des ; mais pour une correction de ce genre, la
hiérarchie n’existe pas, aucun ordre ne m’a été
donné, et, on m’en aurait donné un, que j’aurais
été parfaitement en droit de ne pas y obéir. J’ai
agi de mon propre mouvement, après m’être
entendu avec le P. de la Judie.
D. Il serait d’autant moins étonnant que l’on
vous ait donné un ordre, que cet office rentrait,
avez-vous dit, dans votre charge — R. Oh ! non,
monsieur. Si j’ai dit cela, je le rétracte. C’est
inexact.
Me BERNARD : Vous ne pouvez pas rétracter cela,
monsieur Commire. Vous l’avez écrit et signé.
Je lis, en effet, dans votre déposition recueillie
par l’instruction, et en tête : « Par la nature de
mes fonctions ; j’ai le pénible devoir d’infliger aux
élèves les corrections qu’ils ont méritées. » Plus
loin : « Je dis à l’enfant de se déshabiller pour
recevoir une punition qu’il était de ma charge de
lui donner. » Et vous avez signé. — R. Oui, mon
sieur, mais à tort. J’avais eu tort de dire cela à
M. le Commissaire, et j’ai eu tort de le signer.
Du reste, mon inexpérience complète des choses
judiciaires explique cela. Je ne savais pas que
ma déposition dût être écrite et signée. Lorsque
je vis que M. le commissaire la dictait, je le
priai de me permettre de l’écrire moi-même ; ce
qui me fut accordé. Ce que j’ai écrit est vrai,
sauf ces mots « qu’il était de ma charge de lui
donner ; » les deux premières lignes ne sont pas
de mon écriture, et je les rétracte.
D. Mais vous les avez signés ? Vous avez dit ce
qui s’y trouve ? — R. Oui ; mais je n’aurais pas
dû le dire, parce que cela n’est pas. Je le ré-
tracte.
D. Un témoin a déclaré pourtant qu’en venant
le trouver pour lui infliger une correction, vous
lui avait dit : « Je suis l’exécuteur » Cela con-
corde bien avec votre déposition écrite. — R. Je
ne crois pas avoir tenu ce propos. Mais je répète
qu’il n’y a pas chez nous de charge qui oblige à
administrer les corrections manuelles. Notre règle
nous interdit mĂŞme ces punitions.
M. LE PRÉSIDENT : Si votre règle vous les inter-
dit, il n’y parait guère ; car vous avez ainsi fla-
gellé le jeune de Connat et le jeune de Montfort ?
— R. Il y a, dans le récit qu’on a présenté de
ces deux faits, des exagérations. De Connat a été
frappé de quelques coups d’une demi-cravache
par-dessus ses vêtements. Je lui avais demandé
de les ôter, et comme je vis qu’il ne le voudrait
pas, je n’insistai pas. Il s’agissait beaucoup
moins de lui faire un mal sensible que de l’hu-
milier parce qu’il se montrait orgueilleux. Je nie
absolument que ces coups aient pu déchirer son
pantalon. Si le pantalon a été déchiré, c’est
aux clous de la caisse qui Ă©tait dans le cachot, et
sur laquelle de Connat s’agitait violemment.
M. LE PRÉSIDENT : Que la cravache ait produit
les déchirures, ou que les déchirures soient ve-
nues de ce que de Connat s’agitait sous le fouet,
il n’y a pas grande différence. Et de Montfort ? —
R. Ce qu’a raconté de Monfort est vrai. Comme
il avait commis une série de fautes, et notam-
ment une faute grave, je lui proposai de le cor-
riger avec la discipline. Il a accepté. On a seu-
lement exagéré le nombre des coups ; il n’y en
a pas eu soixante.
M. LE PRÉSIDENT : Ce fait là s’est produit avec
une circonstance particulière que je dois vous
prier d’expliquer. Vous avez engagé votre parole
vis-à-vis de Montfort. que vous ne révéleriez pas
la punition que vous lui aviez infligée, et vous
avez tenu à consigner dans l’instruction que ce
n’était pas vous qui aviez le premier manqué à
ceette promesse. — R. Oui, monsieur. De Mont-
fort étant assez puni m’avait demandé de lui
éviter l’humiliation de la publicité, le déshon-
neur. Je le lui avais promis et devais tenir ma
parole.
M. LE PRÉSIDENT : Le déshonneur ! dites-vous.
vous trouvez donc qu’il y a du déshonneur à
recevoir des coups ! Et vous en donnez à des
enfants ? Ce ne sont pas là des moyens ordinaires
de bonne éducation. — Le second prévenu ?
PAUL DE LA JUDIE, trente ans, préfet des études
de l’Ecole de Tivoli. — D. Vous êtes prévenu,
monsieur, de complicité dans les coups et bles-
sures portés par M. Commire aux jeunes Ségéral,
de Connat et de Montfort. Quelles sont vos expli-
cations ? N'avez-vous pas ordonné de sévir con-
tre ces enfants ? — R. Le jeune Ségéral, que vous
citez le premier, était un élève très indiscipliné.
Le matin du 22, il avait blessé un de ses cama-
rades ; à onze heures, la même scène se repro-
duit. Le fait m’est signalé par le surveillant ; je
réclame l’enfant en écrivant : il est juste que le
faible ne soit pas victime du plus violent ; en-
voyez-moi Ségéral. Quand je vis l’enfant, je lui
dis : Je ne veux pas m’abaisser à vous donner
des coups de poing, quoique votre père m’ait au-
torisé à vous corriger ; mais ce soir vous serez
châtié. Et je le mis au séquestre. Que mangea-t-il
dans la journée ? je l’ignore, parce que ce soin ne
me concerne pas. Après le coucher, le P. Com-
mire vint dans ma chambre, comme il fait chaque
jour, pour me rendre compte et conférer s’il y a
lieu. Je lui exposai le cas de Ségéral, et luis dis
que j’avais autorisation du père de le corriger
manuellement.
M. PRÉSIDENT : M. Ségéral conteste cela for-
mellement. Il déclare qu’un jour qu’il y avait eu
parmi vos élèves une sorte de manifestation, il a
dit à son fils devant vous que s’il prenait part à
des désordres, il viendrait le corriger lui-même ;
et que son fils étant ensuite retourné à son étude,
il vous recommanda au contraire de le traiter
avec douceur, parce que vous n’obtiendriez de
bons résultats que par ce moyen-là. — R. Je
maintiens ce que j’ai dit. J’avais reçu de M. Sé-
géral une autorisation formelle, et qu’il n’a
même pas niée lorsque, le jour où il a ramené
son fils, je le lui ai rappelé.
D. Et sur le fait de violence en lui-mĂŞme,
qu’avez-vous à dire ? — R. Ce fait m’est étranger.
C’est celui du P. Commire.
D. Mais n’aviez-vous pas donnez l’ordre de bat-
tre l’enfant, et lorsque l’enfant s’est réfugié dans
votre chambre, ne l’avez-vous pas remis entrer les
mains du P. Commire pour qu’on achevât la cor-
rection ? — R. Je n’ai pas donné l’ordre au P. Com-
mire et je suis resté étranger à la correction.
L’enfant est, à la vérité, venu dans ma chambre ;
j’étais alors occupé à lire, et je me suis contenté
de lui enjoindre par un signe de retourne Ă  son
séquestre.
D. Vous ĂŞtes Ă©galement complice du fait de
Connat ? — R. Cet enfant avait poussé des cris
perçants dans le réfectoire et le vestibule qui y
conduit. Je le menai au séquestre. Dans la jour-
née je lui portai du pain ; il me reçut si mal que
je ne lui donnai pas. C’est ainsi qu’il resta douze
heures sans nourriture. Le soir, vers huit heu-
res, et non pas vers neuf heures, comme on l’a
prétendu par exagération, le P. Commire lui ad-
ministra une correction avec un morceau de cra-
vache par-dessus ses vêtements. J’avais dit au
P. Commire : Cet enfant se vante qu’aucune cor-
rection ne viendra à bout de lui ; il peut être
bon de lui infliger celle-lĂ .
D. Mais, monsieur, est-ce que douze heures
de cachot et de privation d’aliments n’étaient
pas suffisants ? — R. Monsieur le président, je
ne puis qu’exprimer mes regrets.
D. Notez que les coups ont été portés très vio-
lemment, de manière à laisser des traces et à
causer, pendant plusieurs jours, une douleur sen-
sible. — R. Ceci est de trop. L’enfant m’a affirmé
qu’il n’avait pas souffert.
D. Et le fait de Montfort ? — R. Il a été exagéré.
De Montfort n’a pas reçu soixante coups de dis-
cipline, et ce qu’il en a reçu, il l’avait demandé.
C’est un enfant très singulier, très extraordinaire.
Il lui arrivera, par exemple, au réfectoire, à
l’étude, au milieu du silence, d’entonner la Pré-
face de la Messe, ou le Kyrie eleison. Sa nature
ne se peut comparer Ă  aucune autre. La correc-
tion qu’il avait accepté l’a rendu beaucoup plus
docile.
D. Mais, monsieur, en encourageant des en-
fants de cette sorte, en vous prĂŞtant Ă  leur ca-
prices, vous ne pouvez que dépraver leur imagi-
nation et affaiblir leur corps. Un de vos élèves est
resté douze heures sans nourriture, et vous le
frappez ensuite ! Un autre accepte ou demande
de recevoir soixante coups de discipline, et vous
les lui appliquez ! — R Je déplore tout cela,
je le regrette, et d’autant plus vivement qu’en
m’y prêtant je désobéissais à ma règle et à mon
supérieur.
D. Expliquez-vous sur le fait de Longat. — R.
Je ne sais si on a frappé de Longat. Mais j’af-
firme ne l’avoir pas frappé moi-même et n’avoir
pas ordonné qu’on le frappât. Je me rappelle
seulement l’avoir mis au séquestre.
D. De Longat a raconté, au commencement
de l’instruction, que vous l’aviez enfermé dans
un cachot infect, cachot autre que celui oĂą SĂ©-
géral a été enfermé, et qui servait de déversoir
aux Frères. Vous soutenez que là c’est bornée sa
punition, et qu’il n’a pas été frappé ? — R Oui,
monsieur : du moins je ne l’ai pas appris.
D. C’est donc une habitude de votre maison,
que de maltraiter les enfants ; car enfin nous
vous voyons tout un attirail d’instruments de
correction, et les faits de sévices se sont mul-
tipliés à ce point que vous auriez dit au jeune de
Connat, qui en a déposé : « Il y en a d’au-
tres que vous qui ont été fouettés, mais ils ne
s’en vanteront pas. » — R. Je nie avoir tenu ce
propos. Il est malheureusement vrai que j’ai
permis plusieurs corrections. J’ai en ceci mé-
connu les volontés de mon supérieur et de la
régie. J’ai agi de ma propre initiative. L’année
dernière, le R. P. Roux m’en fit même l’obser-
vation à deux ou trois reprises. J’ai persisté
quand l’occasion me l’a suggéré, inspiré par l’in-
térêt des enfants. J’avoue que je me suis
trompé et je le déplore.
D. Dès 1863, ces habitudes semblent avoir été
celles de la maison, puisque le jeune Maydieu,
à cette époque, a été appréhendé et fouetté, sur
l’ordre du sous-préfet des études, par un homme
armé d’un bâton et masqué. — R. Non, mon-
sieur, ce n’étaient pas les habitudes de la mai-
son. Le fait que vous citez m’est étranger, et je
puis dire que ces corrections ont été introduites
par moi contre la volonté du R. P.. Roux, qui
les ignorait ou les blâmait.
M. LE PRÉSIDENT : Monsieur Roux, dites-nous
vos nom, prénoms et qualités, et fournissez
telles explications qu’il vous plaira. Vous êtes
assigné comme civilement responsable des actes
de vos subordonnés. — R. Je me nomme Jean
Roux, âgé de moins de quarante ans, recteur de
l’Ecole de Tivoli. Je n’ai aucune explication à
fournir, sinon que j’ai ignoré les faits qui vous
sont soumis lorsqu’ils ont eu lieu, et que, quand
je les ai connus, je les ai blâmés et désavoués,
comme contraires à notre règle et à ma volonté.
Je dois ajouter toutefois que je ne doute pas des
intentions de mes subordonnés, qui en se trom-
pant, ils le reconnaissent aujourd’hui, ont tou-
jours agi en vue de ce qu’ils croyaient être l’in-
térêt des enfants.
Il est trois heures, l’audience est suspen-
due.
A la reprise, Me Emile Durier a soutenu
la plainte de M. Ségéral, et a, pendant une
heure environ, tenu l’auditoire sous le
charme de sa parole élégante, précise,
puissante dans sa modération.
Me de Sèze a répondu avec son talent et
sa chaleur habituels.

M. le procureur impérial a prononcé un
réquisitoire remarquable de mesure et de
fermeté, et, après une délibération d’envi-
ron vingt minutes, le tribunal a rendu un
jugement qui condamne les sieurs de la
Julie et Commire, chacun Ă  dix jours
d’emprisonnement, et le P. Roux, solidai-
rement avec les deux autres Ă  300 fr. de
dommages-intérêts envers M. Ségéral.
L’audience a été levée à six heures.

TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE LA SEINE Il y a une dizaine de jours, un individu
se présentait au magasin de Sainte-Cécile,
rue du Bac, et demandait Ă  parler Ă 
Mlle Maria Courtin, employée de cette
maison ; ou la fait appeler, et l’individu lui
remettait une lettre ainsi conçue :
Ma chère et bonne enfant. Je te dirai que je suis dans le plus grand be-
soin. voilĂ  trois jours que je neit rien pris et
j’ai faim je suis même au lit car je souffre d’en-
nui et de besoin jai coucher 2 jour dehors est un
pauvre monsieur que je t’en voi qui m’a recueil-
lie enfin je suis poussé à la dernière extremité
je me recommande Ă  toi tache me prĂŞte 5 francs
ausitĂ´t que je travaillerai je te les remetterez
demande les a tes ami ou à ta maîtresse je conte
sur toi ou je serai obligé de me faire transporter
à la préfecture.
Je t’embrasse de tous cœur ton pauvre et mal-
heureux père.
Jules COURTIN . Tout Ă©mue Ă  la lecture de cette lettre,
Mlle Courtin interroge le porteur ; celui-ci
confirme qu’il a, en effet, recueilli son père
malade et malheureux ; il reçoit les 5 fr.
demandés et se retire.
Le lendemain, un nouvel individu se
présente au même magasin et demande,
lui aussi, à parier à Mlle Maria ; cette de-
moiselle accourt. « Voici, lui dit-il, une
lettre de mon frère, le jeune homme qui
est venu hier. » La jeune fille ouvre la
lettre et lit ce qui suit :
Mademoiselle Maria, Ne pouvant me présenter moi-même, je vous
envoie mon frère. Je vous dirai que j’ai conduit
M. vautre père à l’hotelle Dieu, il est sal Saint
Marte, lits n° 44, M. Maison neuve docteur me
dit qu’il a été bien mal, je lui ai achetée une
chemise de 3 francs un gilet d’occasion de 1 fr.
10 c. maintenant j’ai 3 francs de visite, 2 francs
de voiture et 1 fr. 50 c. que je lui ai donner seu-
lement je vous dirais que je suis jainé et il m’a
recommandé de vous demandé le reste il reste
dĂ» 7 fr. 75 c.
Je conte sur vous car j’ai ma mère et mon
frère à soutenir je ferai pour M. vautre père
tout ce que je pourrai,
Je vous salut. Louis MOURAUX . Le jour suivant, troisième jeune homme
qui vient demander Mlle Courtin : « Made-
moiselle, lui dit-il, j’ai à vous apprendre
une triste nouvelle : votre pauvre père est
mort la nuit dernière, l’enterrement a lieu
demain à telle heure. »
La pauvre fille était anéantie par cette
nouvelle si subite et si imprévue : Voici,
ajoute le funèbre émissaire, un billet à or-
dre de 45 fr. que votre père avait souscrit
au jeune homme que vous avez vu hier,
qui l’avait recueilli comme vous savez, et
qui lui avait prêté de l’argent ; il n’a pu
venir lui-mĂŞme, voulant rester Ă  veiller le
corps de votre pauvre père ; mais il est
très gêné, et si vous pouviez seulement me
remettre 30 fr. pour lui, Ă -compte sur les
45 fr., cela l’obligerait.
Mlle Maria, tout à sa douleur, répond
qu’elle règlera cette affaire dans quelques
jours, puis elle court avertir ses deux
sœurs de la perte qu’elle vient de faire.
Elle commande trois chapeaux de deuil
pour le lendemain, puis se rend rue de
Sartines, au siège de la société des garçons
boulangers, dont son père faisait partie,
afin de savoir comment il se faisait qu’on
l’avait laissé mourir de misère.
On ne savait pas du tout ce qu’elle vou-
lait dire, et elle se mettait en devoir de
leur raconter les faits ci-dessus rapportés,
quant tout-à-conp elle jette un cri d’é-
pouvante : c’était son père, bien portant,
qu’elle venait de voir entrer !
Elle lui apprend ce qui se passait, et le
père Courtin reconnaît dans le premier
émissaire un nommé Huon, demeurant
dans le mĂŞme garni que lui, et auquel il
avait indiqué, en causant, le magasin où
elle était employée.
Mlle Maria retourne Ă  sa maison. A peine
y était-elle arrivée, que Huon se présente
à elle et s’informe si quelqu’un n’était pas
venu la voir de sa part.
La jeune fille fait un signe Ă  ses patrons,
auxquels elle avait raconté toute l’histoire
qu’on connaît ; ceux-ci envoient chercher
des sergents de ville, et Huon est arrêté.
On connut par lui les deux autres : c’é-
taient un nommé Vergne et un nommé
Quiedeberge.
On les arrĂŞta, et les voici en police cor-
rectionnelle.
Huon avoue tout et prétend que l’argent
a été dépensé entre lui et ses complices.
Vergne soutient qu’il n’a rien reçu.
— J’ai, dit-il, porté une lettre sans sa-
voir de quoi il s’agissait.
Quiedeberge prétend également avoir
joué un rôle sans avoir conscience de ce
qu’il faisait. Il soutient avoir remis les
6 fr. à Huon et n’avoir rien reçu pour sa
part.
HUON : Nous avons mangé l’argent en-
semble.
M. LE PRÉSIDENT, à Quiedeberger : Vous
prétendez que vous ne savez pas ce dont il
s'agissait ; mais vous avez dit à Mlle Cour-
tin que son pèere était très malade.
VERGNE : Parce que Huon me l'avait
dit.
M. LE PRÉSIDENT : Et vous, Vergne, vous
avez annoncé à cette demoiselle la mort de
son père ?
VERGNE : Parce que Huon me l’avait dit.
Mlle Marie Courtin a confirmé les faits
rapportés plus haut.
Le tribunal a condamné Huon et Vergne
chacun Ă  six mois de prison, et Quiede-
berge Ă  deux mois.

On lit dans le Publicateur de Louviers : Il n’est bruit en ce moment, à Louviers,
que de l’agression dont M. Guillou com-
missaire de police de cette ville, a été vic-
time de la part de deux repris de justice,
les nommés Poret et Val.
M. Guillou suivait avec sa femme la
route d’Evreux, lorsqu’à la hauteur du
château de Saint Hilaire il se croisa avec
deux individus dont l’un, le nommé Poret,
se tenait d’une façon tellement indécente,
que M. Guillou lui adressa Ă  ce sujet quel-
ques observations qui furent très grossiè-
rement accueillies.
M. Guillou crut devoir alors décliner sa
qualité de commissaire de police ; il n’avait
… sur lui

Transcription :

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