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Cote : g226_5_f_233__v_do__ | ID_folio : 2501 | ID_Transcription : 3308 | ID_Image : 7502
LE MOUSQUETAIRE
que aux oreilles des optimistes. — Aurélien Scholl me paraît venir prêcher aujourd’hui cette littérature lycanthropique dans la France n'a eu malheureusement qu’un avant-goût en 1832, du temps de Pétrus Borel. En lisant son livre, on apprendra que tout ce qui se fait dans les sociétés modernes est un non-sens et que tout ce qui se dit n'a pas l'ombre de raison.En arrivant peu à peu à la cinquantième page, furieux de colère, dansant de fureur sur mon fauteuil, je me disais pour me calmer : « Ce livre est une gageure ou une toquade, » et j'allais le fermer brusquement pour ne plus le rouvrir. A la cinquante-et-unième page, je me suis tout à coup ravisé ; l’ire est descendue de mon front, un calme salutaire a fixé mes yeux sur des pages désormais mieux comprises, et, comme Archimède sortant du bain et courant à travers les rues de Syracuse, je me suis écrié : « J'ai trouvé le mot de cette énigme ; les Lettres à mon Domestique sont un livre de génie. Je le soutiendrai envers et contre tous, à l'épée et au pistolet, à la hache d’abordage et à la lance, à l'obusier et au canon électrique. »Je ne m'en dédirai pas, je le jure. Dans les Lettres à mon Domestique, on nie tout, on se moque de tout, on prouve que le monde n’est plus une comédie de genre, ainsi qu'on le disait du temps de La Harpe, mais une farce à la manière de Zozo et de Galimafré. On proclame des vérités dans le genre de la proposition suivante : « Marche sur la tête, mets ton bonnet de nuit par les pieds. » On réduit courageusement l'exercice de l'amour à sa plus simple expression. — Il y est dit que le soleil ne fait plus son devoir et que ce n'est plus qu’une pauvre flammèche embrasée. On traite la lune du haut en bas. On prend les vieux axiomes sur lesquels nous avons tous vécu jusqu’à ce jour ; on les passe au crible de l'analyse, — on fait voir par conséquent qu'il n'y a rien dedans, et que ce sont de vains mots. On crie : « Ne vivons plus pour de vielles phrases, vivons pour des choses et non pour un idéal quelconque. » — Eh bien ! comme je l’écrivais tout à l'heure, c'est du génie cela ; c'est le reflet réel de notre temps si fanfaron, si fou, si audacieux, si sceptique, si matérialiste, si désenchanté, si malade, si veule, si morose, si superbe. — Aurélien Scholl a daguerréotypé sous le bec de sa plume toute la jeune génération qui sera l'avenir de demain.Et ne croyez pas que j'aie la moindre intention de railler. Me moquer des Jeunes, le ciel m'en garde ! Je sais trop ce qu’il m'en a coûté naguère. Non, c’est très sérieusement que je le déclare : je retrouve un reflet très vrai de notre époque dans les Lettres à mon Domestique. Après avoir lu les cent trente-huit pages dont se compose ce recueil si divers, je me demande pourquoi il n'a pas encore eu quinze éditions de suite depuis un mois et demi qu’il a été mis en vente. N'est pas vrai qui veut. N'a pas qui veut le singulier mérite de dire à un fragment de siècle : « Te voilà dessiné  comme tu es, corps et âme, sans flatterie ; — je t’affirme très clairement que tu n’es pas beau. » C'est ce qu'a fait notre jeune auteur, qui est l’un des Jeunes par excellence, je le répète. — La conclusion à tirer des faits qu'il pose à ce sujet, ce serait nécessairement que tous ceux qui ont entrepris d'instruire, de catéchiser, d'amuser et d'embellir la race moderne ont fait généralement fausse route. Mais quoi ! les Jeunes ne tomberont pas dans ces errements. Ils ne feront pas l’histoire comme Augustin Thierry, ni les vers comme Victor Hugo, ni les romans comme Balzac et George Sand, ni les drames comme Alexandre Dumas, ni les chansons comme Béranger, ni l’esquisse de mœurs comme Alphone Karr, ni les harangues comme Lamartine, ni le journal comme Sylvestre de Sacy et Proudhon, ni le sarcasme comme Méry, ni la peinture comme Eugène Delacroix, ni la musique comme Rossini, ni la statuaire comme David (d'Angers), ni le dessin à la main comme Gavarni. Ils feront bien mieux, vous verrez. Et à propos de tous ces noms célèbres et de cent autres que j'omets (on n'a jamais assez de place pour tout dire), je vais vous révéler une théorie de l’auteur. Écrivains, orateurs, historiens, poètes, artistes, il rejette tous ces gens-là forcément, notre auteur. Savez-vous pourquoi ? Un peu de patience, et je vais vous l'apprendre. C'est que quelques-uns sont des hommes blets, que quelques autres sont des hommes faisandés. — Et moi qui craignais de me montrer irrévérencieux l’autre jour en écrivant, non sans quelque timidité, que ce sont des Vieux. Mais point : — Vieux, c'est déjà un mot usé, un vocable hors de service ; mettez faisandé à la place.Pour bien faire comprendre aux yeux âgés (il y en a encore quelques-uns, par le monde) toute la puissance de cette théorie, je vais citer ce qu'a écrit à ce sujet l’auteur. Il n’est plus pour la vérité d'aujourd’hui, il est toujours pour celle de demain. (C'est bien un des caractères de notre siècle, j'espère.) Mais voyez : « Le paradoxe est plus vrai que la vérité. C'est la vérité qui va vivre et remplacer celle qui se meurt. Le soleil du lendemain est plus vrai que le soleil du jour à l'heure où il décline. C’est en toutes choses une vérité plus vraie, plus apte, plus morale que la vieillesse. »La trouvez-vous raide, cette citation-là ?En voici une autre, sorte de résultante du principe émis plus haut :« L'humanité peut se diviser en quatre catégories : — Hommes verts, — hommes mûrs, — hommes blets, — hommes faisandés. » J'ai fait défiler sous vos yeux, il n'y a qu’un instant, une certaine litanie d'hommes blets et même d'hommes faisandés, tous pris au hasard dans les diverses spécialités de l'art et de la science. En transcrivant ces deux lignes sur les quatre catégories, j'allais invoquer mes souvenirs historiques et me dire que, depuis le jour où l'homme a quitté l'état de nature pour vivre en société, sa famille n'a jamais progressé ni accompli de grandes choses qu'à l’aide d'hommes blets ; j'allais me rappeler Moïse, à la barbe blanche, Solon, Aristote, Socrate, Platon, Périclès, Phidias et tout le sénat romain, nécessairement composé de vieillards, jusqu’à la fin de la république ; et Isaac Newton, et Képler, et Gallilé, et Toricelli, et Denis Papin et Franklin et Parmentier, et Jacquart, et tant d’autres par lesquels nous vivons et qui ne se sont révélés que lorsque leur crâne était devenu chauve. Mais qu'est-ce que ça prouve l'histoire ? C'était bon pour hier ; nous rejetons ces vieilles lisières d'enfant aujourd’hui. La fin de ce siècle veut être Jeune, entendez-vous ; elle n’entend être menée que par les Jeunes. L'écho de ces âpres aspirations se retrouve très clairement dans le livre d'Aurélien Scholl.À côté des théories, des idées fougueuses et des orgueils frénétiques, si naïvement exprimés, on rencontre, ainsi que j'en ai déjà fait la remarque, de la fantaisie pure dans les Lettres à mon Domestique. — Des portraits, des paysages, des esquisses, quelques jolis vers. — Tout cela se lit avec entraînement ; (on a toujours eu beaucoup de goût, chez les fils de Japhet, pour la pomme verte provenant de l'arbre de la science du bien et du mal) ; mais, encore une fois, plus j'y réfléchis, plus je m'étonne que ce livre n'ait pas été enlevé à 80.000 exemplaires. — Après cela, il est possible que demain, sur le vu de mon article, on aille en quérir de pleines charrettes chez le libraire ; — il peut se faire que des navires en partance en portent des colis énormes à Bombay et en Australie. — Des millions d'hommes de toutes couleurs ont mâchonné de la prose qui ne valait pas celle-là.Un Ancien, non, je me trompe, un écrivain blet, a dit : « Les livres ont aussi leurs destinées. » Les destinées des Lettres à mon domestique seront d’aller semer dans les deux hémisphères que les choses et les êtres surannés s'en vont. Très certainement la lecture de ce volume pourra bien occasionner quelques accidents sur la route ; — elle donnera de temps en temps le tétanos aux hommes de bon sens, s’il est vrai qu’il en reste encore quelques-uns dans l'univers. Mais comme la majorité a la tête à l'envers, comme les esprits les plus capricants sont les plus prisés, comme les Jeunes arrivent un peu partout, comme notre planète devient de plus en plus fantaisiste, je crois que ce tome va devenir populaire comme Robinson Crusoé, comme Don Quichotte, comme Gil-Blas, comme Candide, comme le Compère Mathieu.Par une conséquence très logique, Aurélien Scholl est à la veille de devenir un très grand personnage. Tous les sculpteurs demandent sa tête, tous les biographes en veulent à sa vie. S'il a jamais le malheur de se promener seul le soir, passé dix heures, sur les boulevards, il sera enlevé par les ordres de quelque Sémiramis noire ou rouge de l’intérieur de l'Afrique, vivement impressionnée par la lecture de son œuvre.— Quant à moi, je ne dissimule pas que je souhaiterais de le voir prendre place au Palais Mazarin. Un fauteuil académique étant vacant par suite du décès de M. Ancelot, je demande qu'il lui soit donné. Il est bien temps que la littérature des Jeunes soit représentée à l'Institut.PHILIBERT AUDEBRAND
LE PETIT-FILS DE MONSIEUR ORGON
Il existe encore ; vous l'avez vu passer, il n'y a pas plus de huit jours, en calèche, sur le boulevard, se rendant au chemin de fer d'Orléans pour aller visiter ses propriétés vinicoles. Retiré des affaires après quelques années d'exercice, il est marié, vit en propriétaire et passe ses jours à faire le tourment de ceux qui l'entourent. Comme son trisaïeul de risible mémoire, gonflé dans sa sottise et pris d'un amour immense pour sa personne, il prétend exercer une domination absolue sur tout ce qui l'approche. Comme M. Orgon, il possède deux enfants, et il est en perpétuelle opposition avec eux. Il a rompu ostensiblement avec Damis parce que celui-ci avait la prétention de se livrer à la peinture et l’outrecuidance de ne pas viser au positif. Il a marié sa fille à un faiseur d'affaires, qui a eu l'art de le séduire par son luxe apparent et sa magnificence d'emprunt. Rien de plus risible pour un observateur que les repas ou les soirées qu’il donne. Les convives semblent observer un règlement dont ils ne s'écartent jamais. Ils n'osent pas aborder un sujet de conversation sans l’assentiment de leur autocrate ; ils craindraient de lui déplaire s'ils s’opposaient à la moindre de ses idées. Il y a des moments où la table de M. Orgon ressemble à l’Académie silencieuse (moins les agréments, comme de raison).Cependant, malgré son rigorisme outré et ses prétentions exagérées, M. Orgon reçoit de temps en temps d'assez vertes leçons. Et de qui, s’il vous plait ? C'est simplement de ses domestiques. La spirituelle Dorine, il est vrai, n’est plus là pour le réduire à néant ; mais les gens de service d'aujourd'hui ne se gênent pas non plus pour relever les impertinences de leurs maîtres, et ceux de M. Orgon usent largement du privilège. Dernièrement, le jardinier de notre homme l'a redressé d'une vigoureuse façon.En attendant, il ne voit pas sa fille parce que son mari, ayant fait de fausses spéculations, s'est ruiné, ou peu s'en faut ; et quant à son fils Damis, il le reçoit deux fois par an, comme l'on ne reçoit pas un inconnu, et quand les amis d'Orgon entendent parler Damis et demandent quel est ce monsieur qui est au bout de la table : « C'est le fils de ma femme », répond M. Orgon d’un air dédaigneux.—Tiens ! tiens ! répondent les amis, vous ne nous aviez pas dit cela.M. Orgon est à la fois querelleur, contradicteur, envieux du talent, et il couronne le tout par une dose fort raisonnable d’égoïsme. Ce charmant caractère donne lieu parfois aux scènes les plus réjouissantes.Une fois, à sa table, un ami intime, un ami d'enfance, qui supporte toutes ses incartades avec résignation, n'ayant qu’un seul défaut, celui de faire le ci-devant jeune homme, disait qu'il avait la chevelure très bien conservée. - Allons donc ! s’écrie M. Orgon en se levant de table, tu n’as plus que des cheveux blancs et tu portes perruque.Notez qu'il y avait une réunion nombreuse et composée de jolies femmes. M. Orgon trouve cela très spirituel !Une autre fois, son fils Damis, qui était peintre, parlait de son art avec justesse et convenance. On l’écoutait comme l’on aime à écouter une personne compétente et sans prétention. Tout à coup, M. Orgon vient se jeter au milieu de la conversation, en disant : Oui, oui ! Il y a des gens qui se mêlent de parler de ce qu'ils ne connaissent pas. — Attrape ! ajouta-t-il plus bas en regardant son fils.Il trouve encore cela très spirituel.Autant M. Orgon est dur et méprisant avec les infimes, autant il est doux et mielleux avec ceux de sa classe. Il flaire d'avance son gibier, il le devine, il épie la richesse et la fortune. Pourtant, malgré sa perspicacité, il commet parfois d'étranges bévues. Un jour, on lui présente dans son château, — à la campagne, — un jeune homme de bonne mine, d'excellentes manière, parlant avec une grâce exquise. — C'est le fils d'un diplomate, lui dit -on. — C'en est assez ; M. Orgon est aux anges. Un diplomate ? rien d'assez bon pour lui, rien d’assez brillant pour sa personne ; l'élite de la ville est convoquée ; on donne des ordres pour un bal, et pendant huit jours durant, on héberge le jeune homme comme le fils d’un millionnaire.Un beau matin, la femme de M. Orgon prend son mari par le bras :— Mon ami, j'ai quelque chose à te dire :— Qu'est-ce ? Qu'y a-t-il ?— Ce jeune diplomate... tu sais ? — Oui, eh bien ? — Eh bien ? il me fait la cour !M. Orgon, comme son trisaïeul, ne veut pas d’abord croire à la chose ; puis enfin il écoute, et demeure convaincu. Le jeune diplomate est invité poliment à déguerpir, ce qu'il fait sans se fâcher. Mais le lendemain, M. Orgon apprend qu'il avait emprunté de l'argent à ses domestiques.Voilà pourtant les gens que M. Orgon préfère à sa famille !LÉON DE BERNIS
LOUIS XV ET LA SOCIÉTÉ DU XVIIIe SIÈCLE,
Par M. CAPEFIGUE

Il y a des livres qui sont écrits à des points de vue différents et qui pour cela n’en sont pas moins estimables. Il y en a d'autres, et heureusement ils sont rares, dont on n’a besoin que de citer des passages pour éclairer le public. — Louis XV et la société du XVIIIe siècle, par M. Capefigue, est du nombre de ces derniers. Nous comprenons parfaitement l'apologie de la royauté comme l'apologie de toutes les autres formes de gouvernement possibles ; c'est une affaire d'opinion et rien de plus ; mais que de la honte de cette même royauté on en fasse la gloire, que de la misère de la France on en fasse la richesse, que du Parc aux Cerfs on fasse un asile d’innocence et de vertu, c'est ce que nous ne comprenons pas, et mieux encore, c'est ce que nous n’admettons pas. À ce propos, qu'on nous permette de citer quelques passages de ce volume.Nous venons d'entendre la description pompeuse du château de Choisy, récente acquisition de ce monarque accompli.« A deux ou trois heures du matin, il y avait plus d’un convive en joyeuseté de propos et d'actions, comme le dit Rabelais (1). Le roi riait à gorge déployée comme un enfant en vacances, les bougies resplendissaient ramassées au milieu des trumeaux comme une mer de feu, les fleurs, les parfums jetaient les convives dans une délicieuse extase, on récitait alors un conte (et quels contes, —voir tous les auteurs du temps) ou quelques noëls de cour bien mordants contre les nobles dames ; point de témoins importuns, la joie, la folle joie ; et la comtesse de Mailly, la fée du lieu, animait tout de sa baguette d'or. Il y eut QUELQUES INTRIGUES (vous êtes bien honnête, monsieur Capefigue) qui durent blesser la favorite en titre, et surtout les amours du roi pour Mme la duchesse de Vintimille, aussi altière que La COMTESSE DE MAILLY SA SOEUR était bonne et douce. Maîtresse toujours en titre et déclarée, joyeuse et insouciante, la comtesse de Mailly aimait Louis XV. Toutes les fois qu’elle voyait son royal amant un sourire sur les lèvres, elle en était satisfaite comme si la joie et la vie rentraient dans son propre cœur. »Quel roi calomnié que ce malheureux Louis XV ! que la médisance est une terrible chose que de s'attacher ainsi aux gens ! Comment ne pas être libre d’avoir en même temps les deux sœurs pour maîtresses, de joindre aux amours royales et faciles les saveurs de l'inceste, sans qu’on vienne crier haro. A quoi bon être roi, alors !Trève de railleries sur ces détails ! — Aussi bien le cœur vous lève rien que de les lire, et ce n'est que pour vous épargner ce dégoût que nous vous en citons quelques lignes. Et cependant c'est de cet homme, de ce roi que l'auteur parle en continuant ligne pour ligne. (Voir pages 123 et 124.)« Et cependant ce roi, si joyeux au privé, gardait sa grave contenance dans les apparats et les pompes de Versailles ; EXCELLENT ÉPOUX, BON PÈRE DE FAMILLE, il désirait que la reine fut respectée comme une âme religieuse et pure... »Louis XV, bon époux, bon père de famille ! ceci est du dernier bouffon, — et quel style ! Pour continuer sur le même ton on pouvait ajouter : sa veuve continue son commerce rue…n°… comme sur les tombeaux des petits détaillants... C'est exactement la même rédaction.(1) Ceci, pour parler comme un réaliste, veut dire qu'ils étaient ivres.

Transcription : Alain Collignon

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