Le drame extrait par Paul Foucher, de Notre-
Dame de Paris et que va
reprendre le théâtre
des Nations n’est pas le premier qu’ait inspiré
le célèbre roman de
Victor Hugo. Une première
tentative avait été faite sur une scène infime
du boulevard du
Temple, celle de MmeMadameMme Saqui,
située entre les Funambules et le Petit-Lazari.
Cette salle venait de
changer de direction et
de genre. Un certain Dorsay., papetier, l’avait
rouverte sous le titre de Théâtre du Temple et
l’un des premiers
ouvrages qu’il monta fut
Notre-Dame de Paris, drame en trois actes et
sept tableaux, représenté
pour la première fois
le 1er juin 1832. L’auteur était M.Monsieur Louis Dubois, artiste du
théâtre de Versailles, et frère de M.Monsieur Dubois-
Davesnes., acteur, auteur puis régisseur du
Théâtre-Français. L’adaptation de M.Monsieur Dubois
reproduit de son mieux l’intrigue du roman,
en tenant compte, bien entendu,
de l’exiguïté
du théâtre et du peu de ressource de la mise
en scène. Au lieu de précipiter,
au dénouement,
Claude FralloFrollo du haut d’une des tours de Notre-Dame, Quasimodo se contente de le poignarder en face du gibet où vient de périr Esméralda, et le pousse dans la coulisse à peu près comme Ruy Blas exécute Don Salluste.
Phœbus est devenu l’officier Desting qui est aussi un fils de la Recluse, et par conséquent
frère naturel d’Esméralda. Gringoire changé en ancien professeur de l’Université, se nomme
Renald et est un libre penseur, qui déclame contre les nobles, les prêtres, et dit carrément
leur fait aux juges qui condamnent Esméralda. Le style n’esest pas la partie la moins curieuse
de ce drame. Il offre un mélange drolatique de
trivialité et d’emphase qui attire le sourire
malgré soi, et ferait croire à une parodie, si
l’auteur n’était pas sérieusement convaincu.
D’ailleurs, le public auquel il s’adressait n’y
entendait pas malice. Il écoutait avec une attention religieuse, frémissait aux scènes dramatiques, maudissait et injuriait Claude Frollo, et s’attendrissait sur les amours infortunées mais incestueuses de Desting et
d’Esméralda.Un vieil amateur de théâtre de nos amis a
vu représenter la chose et nous affirme que
l’effet
que cela produisait Ă©tait Ă©norme. Dans sa
mesure discrète et modeste, cette ébauche dramatique aida à la popularité du roman, auprès d’un public, qui ne l’avait pas lu et ne le connaissaiéconnaissait alors que de nom. M.Monsieur Louis Dubois fit imprimer son drame en
1838, avec une indication détaillée des costumes des différents personnages. Les exemplaires qui ne portaient pas de nom de libraire, doivent être introuvables aujourd’hui.Réf. bibl.
Quant à la pièce, j’en trouve l’analyse toute
faite dans un recueil du temps, le Monde dramatique, fondé par Gérard de Nerval, et où, je crois
bien, Alphonse Karr faisait, comme on dit, les
théâtres. Cette curiosité vaut la peine d’être reproduite : La scène se passe en 1636 ; à cette époque, le Pérou
est gouverné par le vice-roi, don Gomès de
Cabrera
del Chinchon ; PhilipePhilippe IV règne en Espagne, Louis XIII
en France. Amazampo, chef d’une tribu péruvienne
aime
Maïda, qui ne l’aime point parce qu’elle
aime Fernand, l’Espagnol, Fernand le fils du
vice-roi.
Cette passion malheureuse et très peu sauvage
d’Amazampo lui donne la fièvre
et le pousse au désespoir. C’est alors qu’ayant bu, dans l’intention de s’empoisonner, de l’eau d’une mare dans laquelle étaient des troncs de l’arbre appelé kina et réputé vénéneux, Amazampo se sent guéri comme par enchantement,
non de son amour, mais de sa douleur physique. Dès ce moment, les propriétés fébrifuges du
quinquina sont découvertes. Amazampo profite de sa bonne santé pour oublier
Maïda et se venger de ses oppresseurs ; le meilleur
moyen pour satisfaire son cœur cruellement ulcéré
est de laisser mourir les Espagnols un Ă un de cette
terrible fièvre qui était en Amérique
un mal presque
sans remède. Le plan d’Amazampo réussit à merveille ;
les Espagnols succombent
tandis que les Indiens résistent : Lima est un vaste cimetière dont le sauvage s’est fait le pourvoyeur, puisqu’il a juré et
fait jurer aux siens, sur l’autel du soleil, de ne jamais divulguer le précieux remède.
Cependant, la vice-reine va mourir de la fièvre ; Maïda se sent émue pour la mère de son amant,
mais on ne lui donne pas le temps de sauver la malade, et c’est Amazampo lui-même qui, par un très
beau dévouement et le poignard sur la gorge de dona Théodora, l’oblige à boire la liqueur
salutaire. Cette intrépidité scénique a été couverte d’applaudissements, ainsi que la scène où
Amazampo, traîtreusement emprisonné, apprend que celle dont il a la grâce dans la main est en ce moment même conduite au
bĂ»cher. Ces deux situations sont Ă©nergiquement Ă©crites et d’un beau caractère. Le reste Ă
l’avenant comme l’action, car Amazampo sauve Maïda et expire d’un coup de poignard que lui a mérité sa trahison.Sous ce compte rendu un peu narquois, à la mode
de 1836 — c’est-à -dire à la Janin — on peut reconstruire le drame de Montigny. Ecrit d’un style légèrement majestueux, dans l’école d’Atala et des Martyrs, il est vraiment émouvant, patriotique et agencé par un homme de
théâtre. En le lisant, on y trouve des tirades dans le goût de celle-ci : Il y a un mois, dit Amazampo, à la suite d’un chagrin cruel dont le motif ne fut un secret pour aucun de nos compagnons, je fus atteint de la maladie qui fait en ce moment tant de victimes chez
nos ennemis ; le cœur souffrait en même temps que le corps, mon état fut bientôt désespéré ; en quelques
jours la fièvre m’avait tué... j’allais mourir !MAÏDA, à part. Que dit-il ?AMAZAMPO Le troisième jour, j’étais seul, étendu sur ma natte,
brûlant, haletant, en proie au plus affreux
délire. Je ne
peux savoir ce qui se passa, mais je sentis tout Ă coup
une grande fraîcheur
par tout le corps. La raison me
revint. Je me sentis plongé dans les eaux du lac Oxicaya, précisément au pied d’un de ces arbres dont le lac est bordé, et que toujours nous
avons nommés arbres de la mort parce que leur écorce distille une liqueur que nos pères appelaient un poison mortel...OUTOUGAMYZ Eh bien ? AMAZAMPO. Eh bien ! mon père, cet arbre, c’est l’arbre de la
santé ; cette liqueur mortelle, c’est la vie !
car cette eau
dans laquelle il trempait ses racines et laissait tomber
ses fruits, cette eau dont je m’étais dans mon délire
abreuvé largement, cette eau où
vous aviez dit que
je buvais la mort, il me sembla qu’elle me rendait
tout d’un coup la
force et la vie. Le lendemain, j’osai
presser sur mes lèvres cette écorce que j’avais si longtemps regardée comme un poison, et quelques heures après je sentais le feu de la fièvre qui
abandonnait mes membres rafraîchis. Que vous dirai-je enfin ? Grâce à cette liqueur
bienfaisante, je retrouvai la santé. Ataliba, qui est ici, avec moi, et que j’aime comme un
père, Ataliba fut frappé de la maladie, et comme j’avais été sauvé, je le sauvai aussi. MAÏDA, à part. Mon père !AMAZAMPO Je sauvai de même plusieurs de nos frères... mais
toujours sans leur rien apprendre de mon
secret...
car ce secret, que le hasard m’avait fait connaître,
c’est seulement devant vous,
Ă´ Inca, Ă la face de notre
Dieu, devant le feu de l’autel, que je m’étais promis
de le
révéler !Réf. bibl.